13 oct. 2021

Zone tampon




« L’ignorance est notre force, car elle nous rend vigilants. » Telle est la devise de la ville fortifiée de Jacksonstadt, seule oasis au sein du désert hostile qu’est devenue notre planète après l’Effondrement climatique.

Lisi a la chance d’y vivre. Son père adoptif a tout sacrifié pour devenir membre des Belles Familles, les citoyens les plus privilégiés. Mais un attentat fait fuir l’adolescente dans le désert, en compagnie de sa demi-sœur Soraya et du jeune et charismatique prêtre Milen…



Un grand merci aux éditions ActuSF pour ce partenariat !

Pourquoi ce livre ? Lorsque j’ai reçu les propositions de services presse pour le mois d’octobre, j’ai vraiment cru que je ne prendrai rien, n’ayant remarqué d’intriguant pour les sorties dans les collections qui sont plus susceptibles de m’intéresser. Et puis j’ai repéré Isabelle Bauthian dans la sélection, autrice que je connais grâce à Anasterry et Grish-Mère, je n’ai plus hésité, même si le roman se classe dans la collection Jeunesse.

J’ai pourtant eu du mal à plonger dedans. Fatigue ou envie de lire autre chose, cumulant les lectures communes en retard (ça n’est plus des lectures communes, à force !), j’ai dû me bouger le popotin pour honorer dans les temps cette lecture. Et je fus agréablement surprise !

Pour un univers jeunesse, le seul reproche que je puisse lui faire est sa trop grande facilité. Seulement c’est un ressenti que j’aie pour la plupart des romans destinés à un jeune public, les univers manquant souvent d’approfondissement ou des intrigues un peu trop linéaires… Ce n’est donc pas un véritable reproche, dans le sens où c’est un défaut constant dans la jeunesse.

L’intrigue se glisse au cœur de notre actualité, mêlant les thèmes comme le capitalisme et le besoin de tout recycler au désastre écologique inévitable - et ayant déjà eu lieu ! En dehors d’une ville peuplée par les riches, Jacksonstadt (oui, en allemand, et ça sert parfaitement le propos néopolitique), La zone tampon est un vaste endroit hostile, aride, où il ferait apparemment 40 °C en hiver - moi qui déteste quand il fait plus de 20 °C, ça me vend du rêve ! L’apocalypse écologique s’étant déroulée il y a quelques siècles, l’autrice ne s’attarde pas sur l’aspect historique pour davantage se tourner vers la vie dans les diverses communautés et comment détruire leur politique utopiste, d’après elles, comment mieux penser pour mieux construire l’avenir. J’ai trouvé son approche intéressante puisqu’elle tente d’apprendre à interpréter de différentes manières un même conte, ou un même prêche, idéal pour un public en “apprentissage”.
D’ailleurs, dans le même esprit, un cahier vient compléter le roman. A lire avant le début de la lecture, le cahier (comme pour une lecture scolaire d’un classique type Zola ou Balzac) pose des questions pour faire de ce roman une lecture étudiée pour apprendre à retirer le meilleur d’un livre. C’est sûr, formulé ainsi cela ne vend pas du rêve, mais j’apprécie que ça vienne d’un roman récent et non pas des lectures barbantes - en règle général - qu’on nous oblige à lire au collège et lycée car un jeune l’appréhendera davantage comme une lecture plaisir, non pas une corvée.

Zone tampon n’est pas forcément un roman rythmé. Beaucoup d‘errance, de lenteur lié à la psychologie des personnages, ce qui n’empêche pas d’accrocher au roman et de le gober en une après-midi. Si j’ai soulevé le défaut des facilités, l’univers et ses personnages n’en perdent pas en cohérence et on sent que l’autrice n’en est pas à son premier coup d’essai en termes d’écriture.
La fin accélère grandement les choses, avec des révélations qui m’ont réellement surprise. Je m’attendais au retour d’un personnage évoqué plusieurs fois sans jamais qu’il apparaisse, et finalement c’est tout autre chose que dévoile l’autrice, une chose qui m’a bien plu puisque cela complète parfaitement sa réflexion générale sur la politique. Même ce que je considère comme l’épilogue est riche d’éléments car la protagoniste et narrateur semble avoir énormément évolué au fil de son aventure, peut-être malgré elle mais en toute conscience.

Pour faire une belle transition sur les personnages, la protagoniste Lisi est une personne ancrée dans ses habitudes, adhérent parfaitement au moule prescrit par les pensants, ou les puissants, de Jacksonstadt. De fait, quand elle découvre que sa sœur et le prêtre le plus prisé de la communauté ont fauté, elle vit cela comme une trahison. C’est à travers qu’on suit la découverte de la méditation, la mise en pratique de la réflexion par soi-même pour en tirer ses propres conclusions, sa propre façon d’interpréter. Les deux autres personnages, Soraya la sœur et Milen le prêcheur, sont davantage là pour apporter des éléments de réflexion et reprocher la politique soumise par leur communauté. Ainsi j’ai réellement du mal à jauger l’un sans penser aux autres car c’est le trio fonctionne en osmose même s’ils n’en ont pas totalement conscience.
De même, dans tout le roman il est difficile de dire quel personnage j’ai préféré car ils servent tous une cause, plus ou moins discrètement. Comme pour le trio, je ne conçois pas les caractères comme des individus à part mais comme des personnes travaillant en communauté et répondant aux mêmes codes.

Le style est très direct. Même pour de la littérature jeunesse, j’aurai voulu retrouver la plume envoûtante, les tournures tantôt poétiques tantôt incisives d’Isabelle Bauthian. Cela reste très plaisant à lire mais ça m’a paru sans saveur, par rapport à ce dont je suis habituée.



Un bon one shot dans le rayon jeunesse avec cette dystopie apocalyptique qui souhaite davantage faire réfléchir que critiquer. Les grands thèmes sont abordés sans pour autant gâcher le plaisir de lecture et le divertissement qui en ressort, à déambuler dans ce paysage désertique aux mille dangers. C’est brut, intelligent, pas forcément rythmé mais l’intérêt de l'œuvre repose sur tout autre chose. J’aurai seulement souhaité une plume plus mature, avec quelques notes poétiques. Je le recommande chaudement pour qui veut une dystopie intelligente !



15/20




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