Au XVIIe siècle, sur la mer des Caraïbes, le capitaine Henri Villon et son équipage de pirates luttent pour préserver leur liberté dans un monde déchiré par d'impitoyables perturbations temporelles, Leur arme : le Déchronologue, un navire dont les canons tirent du temps. Qu'espérait Villon en quittant Port-Margot pour donner la chasse à un galion espagnol ? Mettre la main, peut-être, sur une maravilla, une des merveilles secrètes, si rares, qui apparaissent quelquefois aux abords du Nouveau Monde. Assurément pas croiser l'impensable : un Léviathan de fer glissant dans l'orage, capable de cracher la foudre et d'abattre la mort ! Lorsque des personnages hauts en couleur, au verbe fleuri ou au rugueux parler des îles, croisent objets et intrus venus du futur, un souffle picaresque et original confronte le récit d'aventures maritimes à la science-fiction. De quoi être précipité sur ces rivages lointains où l'Histoire éventrée fait continûment naufrage, où les marins affrontent tous les temps. Car avec eux, on sait: qu'importe de vaincre ou de sombrer, puisque l'important est de se battre !
Pourquoi ce livre ? Si c’est avant tout la couverture qui m’a attirée (aheum) au point de l’acheter, les très bons échos sur la blogosphère ont eu raison de moi. Après l’avoir offert dans un swap avec une amie, on s’est enfin fixées pour cette lecture commune. Et wow !
Ce one shot qu’est Le Déchronologue est une lecture aussi magique que complexe. L’auteur s’est fait un plaisir de nous faire travailler méninges et patience en décousant sa trame, présentant de fait sa chronologie dans un désordre. Chaotique ? Oui et non, ce procédé original étant parfait pour comprendre les éléments, passés, présents ou futurs, au meilleur moment pour un impact retentissant. Croyez-le ou non, je n’ai jamais autant apprécié jubiler et être frustrée en même temps.
C’est une histoire de piraterie, de flibusterie et de corsaire(rie) fort bien documentée. Sans aller jusqu’à nous bassiner avec des détails trop historiques, Stéphane Beauverger réussit le pari de nous plonger sans effort dans les Caraïbes du XVIIe siècle, à l’époque où le royaume espagnol a soumis une grosse partie de la région. Ce n’est pas sans rappeler une célèbre saga cinématographique et son célèbre capitaine (au moins, on a entendu parler de lui !), mais dans des tons plus violents et des décors (à peine) moins exotiques.
C’est le capitàn Henri Villon qui mène la danse, ou plutôt qui se fait mener par le bout du nez bien malgré lui. De voyages en désastres, c’est tout un univers de merveilles et de grossièreté avec lequel on va devoir se familiariser.
Et j’ai franchement adoré ! Entre un rythme découpé, ciselé à la dague, on apprend à aimer la plupart des personnages, même les plus revêches, même ceux qui ont commis les pires atrocités envers notre équipage. Qu’on se le dise, j’ai ressenti un profond malaise envers la violence qui se décuple au fil des pages, mais c’est pour le bien de l’intrigue, pour le plaisir malsain du lecteur. De plus, avec ce découpage de la trame temporelle, l’auteur n’a pas fini de s’amuser avec ses personnages et son public, à nous faire tirer des plans sur la comète pour savoir quelles seront les révélations, comment va se passer l’ultime bataille navale.
Si les révélations sont intéressantes, un poil surprenantes, je ne m’attendais pas à ce qu’elles manquent autant de retentissement. Je m’attendais à un final explosif et, après un combat qui n’a cours que sur une dizaine de pages, j’ai le sentiment que la tension croissante retombe comme un pétard mouillé (sans mauvais trait d’esprit). Alors j’ai aimé, notamment par toute l’émotion dégagée, l’ultime jeu de regards entre un capitaine et son maître-artilleur, mais je suis gourmande et aurai souhaité plus.
Les personnages sont forts en couleurs. Si je déplore qu’on ne parvienne pas à s’enticher des équipages de Villon, parce qu’on les côtoie trop peu, c’est pour mieux s’acoquiner des personnages qui gravitent autour du vaisseau. Villon lui-même, puis Sévère, Féfé, Arcadio, Brieuc, Mendoza (sur le tard) et d’autres encore, dont Baptiste qui m’aura touchée à plus d’un titre. On s’attache, et pourtant on perçoit toutes les ficelles et artifices employés pour aider et/ou manipuler le pauvre capitan, bien malmené au cours de ses pérégrinations. Tantôt loup, tantôt brebis, il m’a rappelé le fameux Bâtard de Kosigan.
Enfin le style. Je me suis régalée dès les premiers mots. Je viens tout juste de citer le fameux mercenaire mené par la baguette de Fabien Cerutti, je trouve que la plume de Stéphane Beauverger est un mélange de ce dernier et de Jean-Philippe Jaworski - excusez du peu ! Style littéraire assez relevé qui colle parfaitement au jargon des flibustiers, avec des petites perles en parallèle (notamment grâce à Féfé mais pas que !). Outre la violence, c’est bien pour le style que ce roman se destine à un public plus que mature. De mon côté, j’ai savouré jusqu’au dernier mot comme Henri savourerait la dernière goutte de son tafia !
Et puis je me rends compte que je papote, je papote, mais j'oublie d'évoquer un des principaux éléments : les maravillas, ces objets de notre quotidien entièrement anachroniques dans ce récit de la "Renaissance". Ce fut cocasse d'assister à l'émerveillement des personnages face à ces découvertes, quand nous sommes habitués à leur présence, devenus objets de banalité. Malgré une présence assez ténue dans le récit, leur importance est flagrante. Ces maravillas sont donc un outil discret mais majeur dans le déroulement de la trame.
Le Déchronologue est clairement passé à un pouce du coup de cœur. Il n’aurait été une fin un chouia décevante, les personnages forts en gueule, une intrigue décousue intelligente, un univers de science-fiction léger mais mémorable et un style parfait, ce fut une régalade et je suis (presque) déçue que l’histoire ne laisse aucune place possible à une suite - ou une autre histoire dans cet univers.
18/20
Il est dans ma PAL depuis une éternité ! Tu me fais trop envie là !
RépondreSupprimerJe te le conseille vivement, c'est vraiment bien écrit, bien pensé !
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