19 mai 2022

Le Chien du Forgeron




Approchez, approchez ! Alors que tombe la nuit froide, laissez moi vous divertir avec l'histoire de Cuchulainn, celui que l'on nomme le Chien du Forgeron ; celui qui s'est rendu dans l'Autre Monde plus de fois qu'on ne peut le compter sur les doigts d'une main, celui qui a repoussé à lui seul l'armée du Connacht et accompli trop d'exploits pour qu'on les dénombre tous.
Certains pensent sans doute déjà tout connaître du Chien, mais l'histoire que je m'apprête à vous narrer n'est pas celle que chantent les bardes. Elle n'est pas celle que l'on se raconte l'hiver au coin du feu. J'en vois parmi vous qui chuchotent, qui hésitent, qui pensent que je cherche à écorner l'image d'un grand homme. Pourtant vous entendrez ce soir l'histoire du Chien. L'histoire derrière la légende. L'homme derrière le mythe.
Approchez, approchez ! Venez écouter le dernier récit d'un homme qui parle trop...



Pourquoi ce livre ? Pour son auteur principalement. Depuis la découverte de Bertram le baladin, une fantasy fraîche et décalée, je n'ai eu de cesse d'acheter ces autres romans pour les dévorer (même s'ils ont malheureusement le temps de moisir quelques mois en PAL…). Je ne pouvais donc pas passer à côté de la toute dernière sortie en date avec ce fameux Chien du Forgeron.

Ce fut une lecture très étrange pour moi. Pour la petite anecdote, j'ai fait des études de lettres modernes (couvrant le Moyen-âge à nos jours) et un sentiment ne m'a pas quittée au cours de cette lecture : l'ambiance, la plume, collent parfaitement aux romans médiévaux lus au cours de mon cursus universitaire. Et ce fut donc très étrange car ce ne sont pas les lectures dans lesquelles je me suis le plus épanouie. Si le roman n'avait pas porté le nom de Camille Leboulanger, avec bien entendu son style et ses idées, je ne suis pas certaine que j'aurais autant aimé. C'est donc un pari réussi.
J'ai parlé d'ambiance, j'ai parlé de roman ressemblant à l'époque médiévale. Je tiens seulement à préciser que l'auteur lui-même a déclaré, lors d'une convention, que ce n'est pas historiquement valable. S'il s'est énormément documenté sur l'époque, cela reste de la pure fiction qu'il ne faut donc pas tout prendre au pied de la lettre.

Ce roman est consacré à la vie du Chien du Forgeron, un surnom gagné avec tellement de bassesse que j'ai eu envie de critiquer tous les personnages présents lors de cette scène. De sa naissance à la mort, on va suivre une vie chaotique, marquée par l'égocentrisme et un caractère hautain. Fils de la sœur du roi respecté, on ne peut pas dire que ce personnage soit des plus humbles. Combien de fois ai-je eu envie de le baffer ? De lui arracher ses muscles de grands guerriers pour à la place lui greffer un cerveau ? Car sans être totalement idiot, Cuchulainn (son vrai nom) est aveuglé par les hauts faits d'armes et d'accomplir sa destinée de guerrier farouche, le plus puissant et le plus craint de son époque. C'est loin d'être un enfant de cœur, c'est loin d'être un protagoniste. Il figure plutôt parmi les antihéros marquants, lui qui va jusqu'à oublier son plus proche ami.

L'ambiance est très pesante. Déjà en raison de Cuchulainn, décrit plus haut. À cela s'ajoute une bonne dose de sang, des femmes mariées contre leur gré, des viols, et des complots politiques à foison. Une destinée pèse également sur deux âmes, très douloureuse lorsqu'elle s'accomplit. Autant dire que c'est une lecture bien plus sombre que les précédentes.
L'intrigue en elle-même ne présente aucune véritable surprise. On suit les différents degrés de quête d'un "héros" : se faire accepter à la cour du roi, obtenir la femme qu'il veut, devenir le meilleur guerrier. Pourtant les étapes sont mélangées et le parcours est semé d'épreuves assez novatrices et bien foutues. Notamment chez les femmes, qui lui soumettent des obstacles réfléchis, desquels il faut interpréter une leçon de vie sans être cataloguée morale.

Les personnages fourmillent autour du Chien et j'ai franchement apprécié qu'on ait l'angle d'observation de certains vis-à-vis de ce dernier. Cela équilibre parfaitement avec l'égocentrisme du personnage et on le voit sous sa véritable image : quelqu'un de grossier qu'on n'aurait jamais l'envie de fréquenter. Je déplore seulement ne pas avoir de détails sur la vie des autres personnages. En dehors du roi, dont on apprend les grandes lignes de sa jeunesse et de son règne au début de la lecture, j'ai ressenti une frustration à ne pas en découvrir plus sur les femmes qui entourent Cuchulainn. Bon, j'admets que ça pourrait paraître trop hors sujet de discourir longtemps sur les autres et l'auteur arrive à distiller çà et là quelques détails pour qu'on ait toutes les clés en mains.

J'ai bien aimé le style d'écriture. En fait, Camille Leboulanger a réussi la prouesse de se cacher derrière un style différent qui colle parfaitement au roman médiéval, comme je l'ai signalé auparavant. C'est vraiment bien fait car on s'y croit. Pour tout dire, en raison de ça j'ai rencontré des difficultés à rentrer dedans car ça me paraissait trop proche des lectures scolaires. Heureusement l'intrigue et les personnages sont là pour attiser l'intérêt.
Et puis la façon dont l'histoire est narrée, avec un conteur qui fut également acteur du scénario, fut très plaisante. Le récit est raconté en l'espace d'une longue nuit et ça m'a presque donné envie de faire une nuit blanche sur ce bouquin pour mieux percevoir l'ambiance de la veillée.

Pour couronner le tout, l'auteur glisse par moments quelques "digressions", raccordées à l'intrigue mais sur des thèmes actuels qui lui tiennent à cœur, comme le statut et droits des femmes aujourd'hui (celui le plus perceptible). J'ai beaucoup aimé car il sait user de son intrigue, saisissant le moment propice pour faire passer des messages sans tartiner pendant des heures. C'est génial.



Une lecture déroutante, l'auteur ne m'a jamais habituée à une lecture si retors. Le style est compliqué car il colle parfaitement aux productions médiévales, voire même d'avant. Le personnage est mauvais, un antihéros qui ne se rend pas compte de son comportement malsain ou qui s'en moquer éperdument, tant qu'il obtient ce qu'il souhaite. La lecture est pourtant géniale, une certaine ambiance nous attire dès les premiers instants et l'intrigue comme les petits messages glissés çà et là vaillent le coup d'œil. Si vous êtes un habitué des romans de l'auteur, je vous le conseille. En revanche il sera plus simple pour un nouveau lecteur de ne pas commencer par Le Chien du Forgeron, plus difficile que les autres à mes yeux.



15/20




2 commentaires:

  1. J'avais adoré cette lecture ! Comme toi, j'ai trouvé ça très déroutant, mais l'ambiance est ultra prenante et la manière d'aborder le "héros" est très intéressante.

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    1. Oui, l'auteur a réussi à renouveler le genre, un peu désuet, par son style et le traitement du personnage

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