30 oct. 2018

Mordre le bouclier




Castel de Broe, six mois ont passé depuis la mort de Noalle et Chien du heaume, anéantie par la perte de ses doigts, s’abîme dans la contemplation de sa griffe de fer, cadeau de Regehir le forgeron. Bréhyr entend lui redonner vie et l’entraîne sur les routes à la recherche du dernier homme qu’elle doit tuer : Herôon. Parti en Terre sainte, celui-ci reviendra par le Tor, une tour mythique où le monde des vivants s’ouvre à celui des morts. Les deux guerrières remontent alors le sillage de sang, de larmes et de pourriture des croisades, arpentant côte à côte la voie de la folie et de la vengeance. Dans ce calvaire, Chien rencontrera Saint Roses, chevalier à la beauté d’icône, au savoir de maestre et dont la foi s’est érodée au pied des hautes murailles de Jérusalem. Une faible lueur qui annonce peut-être un espoir de rédemption.



Pourquoi ce livre ? Pour étonnant que cela soit, je garde un excellent souvenir de ma lecture du premier tome, Chien du heaume, alors que, finalement, je ne lui ai adressé qu’un petit 13. C’est déjà correct, mais pas non plus excellentissime. J’ai découvert Justine Niogret avec ce premier tome, il y a plus de trois ans maintenant. J’étais contente de voir que je gardais en mémoire quelques détails, cela signifie que, malgré ma note, le livre a été marquant.

Il a tout de même fallu se plonger dans le bain. Si la plume n’est pas totalement aisée - mais j’y reviendrai plus tard - il faut être capable de remettre des noms sur des personnages, exercice compliqué après tant de lectures entre les deux. On retrouve évidemment Chien du heaume avec un certain plaisir. Celle-ci court toujours après son identité, malheureusement cela lui aura coûté un morceau d’elle. J’avais totalement oublié ce “petit” inconvénient. Quand on connaît le personnage, on devine aisément que cela lui coûte davantage en psychologie que pour son physique…
J’étais d’autant plus perdue que le prologue s'ouvre sur un autre personnage, Brehyr, une vieille femme chevalier. La violence est de mise, dans les paroles comme dans les gestes, et parmi cela on a du mal à comprendre la portée du propos. Finalement, la vieille et la jeune s’allient dans leur quête, la première dirigeant la seconde quand cette dernière est en peine de faire quoi que ce soit pour son aînée.

Ce roman se dévore. Je ne saurai déterminer quels sont les critères de ce roman - et j’y ai réfléchi quatre ou cinq jours ! Mordre le bouclier est un tout, une osmose entre les personnages, l’ambiance, un tout desservi par une plume brouillonne ou plutôt bouillonnante.

Les personnages sont beaux parce qu’ils effeuillent leur personnalité, ils se mettent à nus devant nos yeux de voyeurs, et c’est sublime parce que la connivence est là. Chien n’a connu que la haine, la violence et la mort. Brehyr va l’éduquer, alors que la jeune a déjà la vingtaine, et lui ouvrir les yeux sur les petits plaisirs que recèlent la vie. Avez-vous déjà vu un enfant découvrir le chocolat ? Avez-vous réussi à mettre des mots sur cette expression candide et sincère ? L’autrice y est parvenue avec une splendeur telle qu’elle m’a touchée droit au coeur.
Par ailleurs, si quelques passages se déroulent en plein air, permettant de présenter rapidement le décor, la majorité de l’oeuvre a lieu en huis-clos. Un rapprochement entre les personnages s’effectuent. Ils sont quatre et tous ont pris les armes pour des raisons, des causes différentes. Entre un croisé qui pose la question de la croyance et la Petite qui interroge nos origines et nos motivations, c’est un pur roman psychologique mené sur fond moyenâgeux.

Tout bascule à la fin. On se prend le visage avec horreur en découvrant l’objectif de Justine Niogret et, d’un autre côté, on se dit que ça ne pouvait pas finir autrement. Comme le révèle si bien Jean-Philippe Jaworski dans sa postface, la boucle est bouclée.

En parlant de la postface, il est énormément rare (et je vais me faire taper car j’ai fait des études de lettres et c’est normalement obligatoire de s’attarder là-dessus par respect pour l’écrivain et son oeuvre et pour mieux comprendre cette dernière) que je m’arrête sur une postface. D’ailleurs, je ne comptais tout simplement pas la lire, c’est en voyant le nom de son auteur que j’ai déclaré tout haut (mon homme est témoin) “Oh ! Bah je vais la lire en fait !”. Et je ne regrette pas une seconde. Jaworski, faisant montre de toute sa culture, a réussi à insérer des références littéraires partout ! Justine Niogret, que Stefane Platteau a qualifié de jardinière, balance son histoire en pleine face et donne l’impression de ne faire que ça, et pourtant elle parvient à construire un récit médiéval parfait, foisonnant de références et… Je ne saurai m’expliquer mieux mais Jaworski m’a fait prendre conscience que ce diptyque n’est pas que cela, la portée est bien plus profonde… J’aurai aimé avoir une lecture du premier tome plus fraîche en mémoire pour me prendre la vérité plus crûment encore en pleine poire mais, malgré les trois années écoulées, ça a suffi pour que cela soit violent.



Sans aller jusqu’à l’adoration pure, j’ai grandement apprécié cette lecture. Ce n’est pas frais dans le sens léger, mais l’autrice a un style bien elle, violent et percutant, qui amène à imposer son univers, ses personnages et ses idées avec un impact certain. Comme je l’ai dit juste avant, sans la postface je n’aurai probablement rien compris, maintenant je connais la grande force de cette autrice et j’ai hâte de retrouver un de ses romans. Les personnages sont puissants, construits avec soin, mêlant beauté simple et souffrance profonde. Quant à l’univers, le froid et la neige nous envahissent au cours de notre lecture, aucune chaleur n’est apte à nous réchauffer quand nous sommes plongés dans ce gouffre de douleur silencieuse. Vu la taille des deux bouquins, je crois que vous aurez facilement l’occasion de caser ce diptyque dans vos lectures. N’hésitez pas, vous ne ressortirez pas indemnes.



15/20




Les autres titres de la saga :
1. Chien du heaume
2. Mordre le bouclier
- saga terminée -


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