Si cela fait longtemps que la section de L'Atelier existe, j'ai décidé de le reprendre sérieusement en mains.
Pour que vous compreniez mieux cette démarche, et pourquoi la précision de Melamar dans le titre, je vous renvoie à mon article de présentation.
Cette section servira donc d'unité aux nouvelles issues de Melamar, mais également aux autres écrits, composés çà et là au hasard de mes pensées, que j'aurais envie de vous partager.
Je n'ai plus qu'à vous souhaiter bonne lecture :)
Simple règle: écrire un texte avec tous les mots ci-dessus en un seul exemplaire dans l'ordre défini, avec pour thème la "peur des autres".
Chanteur - Venin - Se demander - Publication - Orange - Sauvetage - Tiroir - Fou - Masse - Funambule
Retrouvez Haine, le texte écrit par Ratkiller pour remplir cette consigne.
Retrouvez Haine, le texte écrit par Ratkiller pour remplir cette consigne.
La paupière
ridée, gage d’un âge vénérable, se souleva en un combat sans nom. La pupille
dilatée trahissait la vape de sommeil qui retenait l’ancêtre à ses rêves, cette
cure de jouvence. Un second cri eut tôt fait de la dérober définitivement aux
bras de Supta, Déesse du sommeil. Une petite chose fragile avait l’esprit et le
cœur en peine et c’était son rôle, à l’ancêtre qui a tout vu, tout entendu,
d’appliquer le baume.
« Chut… Ma toute petite…
Je suis là…
-
Grande-mère ! pleurnicha l’enfant en
s’agrippant frénétiquement à la peau plissée tel un vêtement chiffonné. Malgré
la douleur des petites mains proches de vieilles cicatrices, la parente n’osa
aucune réprimande, occupée à cajoler ce morceau de souffrance.
-
As-tu prié la Déesse avant de t’endormir, comme
je te l’ai conseillé ?
-
Oui mais… Les mêmes cauchemars… Grande-mère,
j’ai peur de dormir…
-
Alors je vais te raconter une histoire. Mon
histoire. Et nous veillerons jusqu’à l’aube, ensemble.
La petite
se cala dans le giron de l’honorable, cherchant une position confortable qui
faciliterait l’écoute et la rêvasserie.
« Petite,
j’étais différente des autres. Pas tant dans mon apparence, ma différence
portait davantage sur mon comportement. Je percevais des choses, des effluves,
que les autres enfants ignoraient. Mes parents taisaient ce secret, par peur
d’alimenter les esprits et les débats houleux. Comme toi, j’ai énormément
souffert de mes cauchemars. Sauf que mes cauchemars n’avaient guère lieu la
nuit, non… La souffrance m’abimait sous les affres d’Inti. L’astre de Selene
officiait comme un baume en mon cœur, quand les rayons de son frère
supportaient mes angoisses. Ah ! Que pouvais-je faire pour me dérober à ce
supplice permanent ? J’étais trop jeune pour comprendre la réponse,
encore moins mettre des mots dessus…
« Vois-tu,
je voyais réellement des choses étonnantes. Des bâtiments hauts, très hauts,
faits de matières parfois foncées et dures, parfois claires et transparentes,
et leur toit se cachait parmi les nuages des Néphélées. Ils se déplaçaient sans
avoir recours à des animaux, avec une énergie que tu ne comprendrais pas. Ce
décor me hantait, flirtant avec mon environnement jusqu’à le recouvrir à divers
moments. La réalité me fuyait comme je fuyais les gens de mon âge.
« Et
un beau jour, le pire survint. Un homme de cette réalité évanescente,
vaporeuse, intangible, me heurta de plein fouet.
-
Hey ! Regarde un peu où tu vas avec ton
déguisement ! Tes ailes prennent de la place !
« J’étais
trop abasourdie pour rétorquer quelques traits bien sentis, sachant qu’il est
impoli d’être rabroué de la sorte par un homme. J’ai laissé courir, reculant
même de quelques pas dans le but de m’éloigner de ce malotru et plonger dans le
décor que je côtoyais jour après jour. Avant de revenir parmi les miens, si je
pouvais réellement les désigner comme tels, je n’eus que le temps d’entendre
une phrase alors incompréhensible à mes oreilles. Pourtant, un mot me marqua au
plus profond de moi, malgré le sens qui m’échappait : chanteur. »
« Hein ?
Tu as deviné ce que ça voulait dire ? l’interrompit la petite, sa
curiosité à peine voilée. L’ancêtre sourit, heureuse de voir que son histoire
entraînait sa petite fille loin de ses démons.
-
Un individu qui manipule les mots comme les
armes, qui parvient à te planter une flèche en plein cœur sans te faire
souffrir mais, au contraire, te libérer. » Les pupilles inquisitrices de
sa petite fille l’obligèrent une précision. « C’est un dérivé de nos
bardes, si tu préfères. Et tu sais à quel point ils peuvent être des baumes
pour l’âme… Enfin, le baume ne fut pas durable. Des rumeurs s’ébruitèrent comme
quoi je devenais aliénée, qu’il fallait me bannir avant que le mal ne se
répande dans le sang de notre espèce. Ils me dépeignaient comme le serpent rusé
alors que c’était eux le venin. Certains ont même requis le conseil des sages.
Ces derniers l’étaient trop pour prêter une attention particulière à de
pareilles billevesées. Ils en étaient même au point de se demander s’il ne
fallait pas bannir tous les autres. Ça aurait fait tâche dans le village, je
suppose. Enfin, au moins je me sentais épaulée grâce à leur présence, à leur
compréhension.
-
Mais t’avais pas d’amis, comme moi ?
-
Non ma douce, je ne pouvais pas me mêler aux
autres. Leur regard me fustigeait sur place, j’avais jusque peur de sortir.
Finalement, j’ai apprivoisé l’autre monde. Là aussi ils me jugeaient comme
différente. Mais c’était vrai, alors je le vivais mieux.
« Je déambulais
dans ces ruelles étroites ou ces grandes artères où les gens fourmillaient sans
se regarder. Mes ailes passaient aisément inaperçues. Un jour, je suis tombée
sur un bouquiniste en pleine rue. Une des publications arborait des ailes sur
la couverture, des ailes de fée sur fond d’automne, des couleurs chatoyantes de
l’orange au rouge… Je n’ai jamais été aussi surprise que de voir nos semblables
dans cet univers. Cela signifiait-il qu’ils avaient déjà vu un membre de notre
peuple ? Fort probable aujourd’hui, mais à l’époque j’étais jeune et
craintive, je ne me permettais aucun espoir.
« Et
j’ai revu le barde ! Ne fronce pas les sourcils, tu vas vieillir avant
l’âge et tu n’atteindras pas le mien ! Vois-tu… Malgré la peur des autres,
l’appréhension de leur regard, je ne me suis jamais réellement sentie menacée.
Sûrement un sentiment partagé par toutes les victimes en déni… Ce n’est que
lorsqu’on est protégé qu’on prend conscience du champ de mines, de cette
angoisse qu’on a traversée… Et c’est ce magnifique barde qui est à l’origine de
mon sauvetage. Par la suite ce fut un effet tiroir. Mmmh. Comment t’expliquer
le concept ? Disons, tu peines à ouvrir une boîte. Celle-ci se veut retorse,
résistante à tout pendant de longues années. Vint l’heure du déclic et alors,
tout te paraît plus simple. Lé ménestrel à été la clef de ce tiroir. Mes maux
se sont comme envolés, évaporés dans les méandres sombres d’un nuage noir sur
le départ.
« Je
prenais tellement plaisir à visiter son monde. Toutefois il commençait à
comprendre ma différence, je craignais son regard. C’est alors, au cours d’une
balade en forêt, qu’il me porta dans ses bras en prenant soin de ne pas
froisser mes ailes et déposa ses lèvres sur les miennes… »
« Beurk !
s’écœura la petite en grimaçant de dégoût, emportant le rire rauque de la
conteuse.
-
Nous te verrons bien à la puberté, ma douce. Tes
parents auront bien du mal de te tenir en place ! Enfin à l’époque je te
rejoins. Sais-tu qu’elle fut ma réaction ?
-
Non…
-
« Quel excentrique vous faites ! »
me suis-je écriée. Et sais-tu qu’elle fut sa réponse ?
-
Mmmh ?
-
Dans mon monde, on dit simplement bouffon ou
fou ! »
« Et
j’étais bien loin de m’inquiéter de sa phrase. Il reconnaissait ma différence,
mon étrangeté. Or son baiser était si doux, si suave, que son amour pour moi ne
pouvait trahir aucune malveillance. J’étais aimée, et le pincement qui secoua
mon cœur traduisait la réciprocité… Il accepta mon univers comme je m’étais
éprise du sien. Sous le couvert des arbres et la bénédiction de Sélène, nous
avons consommé notre amour sans attendre. La force de mon bonheur m’étreignit
brutalement, telle la masse d’un forgeron tapant sur l’enclume.
« Nous
nous sommes revus bien sûr, encore et encore, notre amour s’amplifiant à chaque
rencontre, même une simple entrevue. Je n’ai jamais compris comment je le
retrouvais à chaque visite, tel devait être mon destin, je suppose.
« Naturellement,
une union si passionnée ne pouvait être que fertile. Le ventre s’arrondit bien
malgré moi, soutirant les commérages des vieilles carnes. J’ai marché entre
deux eaux jusqu’à l’accouchement, dans son monde à lui. Mais l’enfant avait du
sang de fae, les proéminences dans son dos, là où se dévoileraient les futures
ailes, en étaient la preuve. Et quand le bébé ouvrit ses beaux yeux, je pris
conscience d’une chose… Toute ma vie, j’avais été partagée entre deux univers
opposées, évoluant en équilibre sur un fil ténu tel le funambule… Mais
aujourd’hui, j’avais créé mon propre monde, et plus jamais je le
quitterai… »
Grande-mère
embrassa le front de sa descendance avec un amour profond, puissant. La
vieillesse étiolait sa jeunesse, affaiblissait son ardeur. Toutefois son monde
perdurerait après elle. Yanaëlle saurait trouver sa place comme elle-même avait
su tracer sa voie. Car dès la naissance, malgré le rejet de la plupart, un être
est destiné à nous chérir.
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