« J'ai quand même un ragot à vous servir, et du lourd ! Figurez-vous que ce n'est point avec moi que les elfes ont commencé à grenouiller dans les affaires de l'État. Bien loin de là ! Il y a deux bons siècles déjà, au moment de l'Émancipation de Cidualia, ils nous ont joué un tour à leur façon. Et les marles en tâtent tellement pour la barabille que l'un d'entre eux, sans même pointer son joli minois dans notre belle cité, nous a tous jetés dans une sacrée flanche ! Jugez-en par vous-même. » En cinq nouvelles comme autant d'étapes dans l'histoire cruelle et tumultueuse du Vieux Royaume.
Pourquoi ce livre ? Parce que Jaworski. Voilà.
Ce n’est pas ma première découverte de Jean-Philippe Jaworski, cet auteur issu de l’univers des jeux de rôles, et ce ne sera sûrement pas ma dernière, ayant des tomes de sa saga Rois du monde en attente dans ma PAL et Wish. Mais j’ai plaisir à en sortir un chaque année de ma bibliothèque, pour le lire ou le relire, préparée que je suis à une claque littéraire.
Le Sentiment du fer est un recueil composé de cinq nouvelles plus ou moins longues, réparties sur à peu près deux cents pages. C’est court, bien trop court si l’on compare à ses deux autres écrits dans le même univers du Vieux Royaume, Janua Vera et Gagner la guerre. Cela reste du bon, du très bon, mêlant les niveaux de style, prouvant qu’il est capable de tout, qu’il maîtrise parfaitement les aléas de la langue française et les codes du langage.
Il est temps à présent d’évoquer les nouvelles une par une, comme je le fais souvent quand un recueil m’a particulièrement marquée.
Le Sentiment du fer, nouvelle éponyme donc, nous place aux côtés d’une énième voleur, un peu comme Don Benvito dans Gagner la guerre. Toutefois sur un récit aussi court, le développement n’est pas le même. Le personnage est finement développé, comme sa mission et ses références. C’est très intéressant, c’est rythmé, mais on ressent moins cette crainte de perdre le personnage, au détour d’une échauffourée avec des gardes de la villa qu’il doit cambrioler, en plein coeur d’une guerre. De plus, la fin fut pour moi prévisible, je m’attendais à ce revirement de situation. Je ne pense pas que les intentions de l’auteur avaient prévu de cacher son objectif, toutefois j’aurai été ravie d’avoir la surprise quant à l’issue de cette mission, payée cher par son commanditaire. Autrement, j’aurai vraiment souhaité une histoire plus longue pour développer ce personnage !
L’elfe et les égorgeurs est un joli récit sur l’art de la manipulation. Si l’on sent le coup fourré venir à des kilomètres, le phrasé d’Annoeth permet une jolie balade, non sans malice. Et puis revoir ce personnage, si discret, si mystérieux, si puissant, ça a ravi mon palpitant.
Profanation est une nouvelle marquante. Loin de toute action, l’auteur nous offre une déambulation dans la campagne massacrée au cours d’un seul procès. J’allais le qualifier de simple à la place de seul, mais cela n’aurait pas convenu. Ici, le narrateur fait montre d’un argumentaire exemplaire, preuve que Jaworski s’illustre parfaitement dans l’action comme dans l’argumentation. La fin est… pfiou ! Je n’aurai jamais cru aboutir à pareille chose !
Désolation suit les traces des écrits de Tolkien, un peu à la manière du Hobbit. Entouré de nains et de gobelins, les héros s’avancent discrètement dans les montagnes dans le but d’occire le dragon sommeillant sur son trésor. Mais les surprises, belles comme mauvaises, sèment leur parcours, déjà jonché d’embûches. Dans la lutte jusqu’au bout, la nouvelle prône finalement la quête d’identité et la tolérance. Une petite claque face à cette fin inattendue.
Cette nouvelle suscite néanmoins un regret. En effet, elle laisse entrevoir quelques créatures plus alléchantes les unes que les autres, avec une histoire riche en originalité... Or, on n'entend jamais parlé dans les autres récits liés à cet univers. Si on ne les perçoit pas comme un manquement, je trouve simplement dommage que ces nouvelles propulsent ces créatures dedans, comme si elles avaient toujours été là (en quelque sorte, oui, mais pas dans tous les récits !).
La troisième hypostase fut un récit magnifique. Si la quête d’identité apparaît en survol, c’est le déchaînement de la violence humaine qui se découvre ici, avec toutes les conséquences que cela sous-entend. Je ne pense pas avoir perçu toute la force de ce récit, et je pense le relire d’ici quelques années… Pour autant, la beauté du texte se savoure.
Je suis incapable de dire quelle nouvelle m’a le plus séduite car, au fond, elles m’ont toute marqué de différentes façons. Les sujets ne se ressemblent pas, prouvant s’il est encore nécessaire tout l’art de Jean-Philippe Jaworski. Qu’est-ce que j’aime cet auteur ! Si la claque n’est pas à chaque lecture, au moins sais-je que je vais m’enfouir dans un univers maîtrisé, profond, que la plume légère et grinçante parcourt avec un bonheur délicieux. Oserai-je le dire ? Monsieur, encore !
17/20
Les autres titres de la saga :
1. Janua Vera
2. Gagner la guerre
3. Le Sentiment du fer
- saga terminée -
1. Janua Vera
2. Gagner la guerre
3. Le Sentiment du fer
- saga terminée -
C'est pas le première fois que j'entends parler de cet auteur (ma culture est un gouffre) et je crois qu'il faudra me pencher dessus.
RépondreSupprimerLa première fois ?! Mais c'est un crime, il faut passer plus de temps dans les rayons SFFF ! :P
SupprimerC'est un grand auteur de Fantasy française, son nom égale celui d'Alain Damasio chez certains. Il vaut le coup d'oeil mais il faut aimer la Fantasy languissante, au style littéraire.
J'ai dit "c'est PAS la première fois" mais je ne savais pas qu'il avait une telle réputation. Du coup, quel titre tu me conseillerais d'ajouter à ma wishlist?
SupprimerExcuse-moi, je suis complètement passée au-dessus du pas :/
SupprimerEn fait, tout dépend de tes attentes. Si tu raffoles de nouvelles, Janua Vera comme Le Sentiment du fer se valent (et comme ce sont deux nouvelles, tu les lis dans l'ordre de ton choix). Gagner la guerre se déroule dans le même univers et fait parfois référence aux nouvelles, mais rien de gênant si tu commences par là. Le décor oscille entre Antiquité et Renaissance romaine. Y'a du bagou, de l'enjeu politique, quelques rebondissements inattendus, et une plume ciselée, mordante.
L'autre saga, Rois du monde, se déroule dans un monde celtique, avec les croyances qui vont avec. Là aussi la politique est de mise, mais cela s'appréhende davantage dans les rixes de clan/territoire et entre chef de troupes qu'autre chose. Il faut aimer les légendes, aimer pénétrer dans un univers onirique.
J'ai ressenti un profond coup de coeur pour les deux alors je ne pourrais pas trancher à ta place, désolée !
Autant te le dire, tu ne m'aides pas beaucoup. Bon, je me suis noté le premier Rois du monde, ça m'a l'air pas mal du tout. On verra bien.
SupprimerMerci…
En même temps, j'ai prévenu que je ne pourrais pas trancher :) C'est pour ça que j'ai décris les principales caractéristiques des deux romans, dans l'espoir de t'aider à faire ton choix.
SupprimerJe suivrais ton avis avec attention, si tu finis par le lire.