Djiane, héritière d’un art mortel et secret, est donnée contre son gré à un seigneur tyrannique. Arkhane, apprentie chamane, est privée en une nuit de son identité et de ses dons. Abandonnée dans un reg aride, elle ne doit sa survie qu’à la protection d’un étrange vautour. Seule rescapée de l’attaque d’une gigantesque créature des sables, Tiyyi, une jeune esclave tente d’échapper à la fournaise de Tessûa. Recueillie par des nomades, elle découvre peu à peu ses pouvoirs.
Et dans l’ombre, un immortel en quête d’humanité, un djinn prisonnier d’un corps vieillissant, prêt à tout pour devenir un dieu…
Pourquoi ce livre ? C’est étrange de donner tant de chances à une autrice qui nous a déjà pas mal déçue… Le dernier ours est une lecture jeunesse pas forcément transcendante, sans surprise ; La Peau des rêves offre un univers sombre, à la rigueur le plus convaincant jusqu’à maintenant ; Arachnae fut une lecture ignoble qui m’a donné envie de brûler le livre (et Ratkiller a également abandonné alors qu’il lui en faut beaucoup pour ça…). Que voulez-vous, l’appel des belles couvertures m’a fait acheter ce livre. Et je ne le regrette pas !
Passée la perplexité d’un début qui donne l’impression de partir dans tous les sens, sans qu’on ne comprenne quoi que ce soit au lien avec l’intrigue. En effet, par le biais de lettres on découvre le méchant de l’histoire, un ennemi pas comme les autres puisque c’est un sorcier et, avant tout, un personnage à part entière. Ainsi il s’adresse par ses lettres à son père, un illustre inconnu qu’il répudie puisque c’est par sa faute que ce sorcier n’est que simple mortel. Son but est donc d’obtenir l’immortalité et, pour ce faire, Malik (c’est son nom) pompe les âmes d’individus asservis pour se maintenir en vie, le temps de trouver mieux.
Aya est une voyante à son service. D’abord obnubilée par la drogue qu’il lui distille, elle va finalement s’émanciper de sa dépendance pour devenir une voyante puissante et lui prédire la venue de trois jeunes femmes hors du commun, clés et chemin de sa destinée. À lui de tirer profit de leur potentiel…
Les chapitres vont ainsi alterner les points de vue. Si on reste un moment focalisé sur l’intrigue liée au sorcier, nous allons ensuite dans les doux rêves de liberté de Djiane, Tiyyi et Arkhane. Les deux premières ont en commun un passé assez lourd. L’une est prisonnière d’un père follement amoureux d’une marâtre jeteuse de sort. Sous son charme, le père cède à tous ses caprices, jusqu’à céder sa fille à un neveu capricieux et violemment impulsif. Amoureuse d’un ménestrel, Djiane va tenter de s’évader mais sera vite rattrapée. Commence alors une longue vie de captivité. Tiyyi, elle, est captive depuis bien longtemps. Elle a vu le massacre de bien des gens de sa communauté et fut elle-même gardée en prison, avant d’être miraculeusement libérée, pour un avenir qui s’annonce tout aussi pourri. Quant à Arkhane, née androgyne, son destin s’annonce plus lourd encore, mené par la baguette d’une Déesse, Azr’Khila.
Bien qu’elles n’aient jamais été en contact, le destin de ces trois femmes semblent liés, guidés par les ténèbres et le hasard. Clé de voûte d’une prophétie alarmante, pour chacun le livre se termine sur une envie d’en savoir plus.
Beaucoup de rythme imprègne notre lecture. Si l’action n’est pas prépondérante, on sent que les pions de l’échiquier se met en place. De plus, c’est un roman davantage tourné vers la psychologie de ses personnages que sur l’avancée en lui-même. Enfin, n’allez pas croire qu’il se n’y passe rien. D’abord on découvre l’univers, dans ses détails et aspérités, tandis que Charlotte Bousquet met en place ses personnages et leur avenir.
L’ensemble offre donc un univers mature, profond, où chacun a sa place et sa fonction, un avenir sombre.
J’ai également beaucoup aimé les sonorités. Au-delà des noms qui rappellent des noms et du lexique issus des langues orientales, cela entre en harmonie avec ces paysage désertiques, arides. D’ailleurs, si on prononce les noms et le vocabulaire inventé de l’ouvrage, on sent toutes ces aspérités sur la langue. J’ai franchement aimé ce rendu harmonieux, qui m’a rappelé Le Diseur de Mots de Christian Léourier sur ce point, bien que ce dernier se déroule dans un monde plus asiatique qu’oriental.
Les personnages sont forts. Si on est au préalable perdus dans cette alternance de point de vue qui ne nous permet pas de nous attarder trop longuement auprès de l’un d’eux, peu importe lequel, on finit par retenir qui est qui et la stabilité permet de mieux savourer l’intrigue et ses paysages.
Car il faut reconnaître, la véritable force de ce premier tome ne provient pas de cette histoire languissante, agréable, mais de son univers. Violent, coloré, parfumé, on s’immerge totalement, avec cette soif insatiable, comme si nous étions projetés, immergés jusqu’au cou dans ce décor désertique et cette atmosphère aride.
Au niveau de la prophétie, je ne vous dévoilerais rien, si ce n’est que les personnages concernés ne sont pas nommés directement mais sont assimilés à un surnom. Autant certains se devinent facilement, autant j’ai tâtonné pour comprendre qui se cache derrière les autres. Et quand on comprend, le coeur se pince car on sait que certains subiront de lourdes conséquences.
J’ai préféré le personnage d’Arkhane, parce qu’elle porte en elle une ambivalence innée, en marge de ce que j’ai déjà pu lire auparavant. En effet, c’est le premier personnage androgyne de naissance que je rencontre, le fruit d’une volonté des dieux, presque un élu. Sa personnalité devient ainsi complexe, capable d’aimer homme et femme. Il ou elle est l’objet de convoitise, de jalousie, il subira des violences auxquelles il n’était pas prêt. Et nous sommes positionnés en tant que témoin de cette déchirure, de cette perte de repères, voyeurs malsains. J’aurai aimé le prendre dans mes bras, pour le réconforter et lui signaler que tout n’est pas perdu.
Djiane m’a également bien plu. Déterminée et armée, c’est ce genre de femmes qui tombe bas pour mieux se relever et montrer combien elle est capable. Son art de manier les couteaux, de distribuer la mort, m’a donné quelques frissons et j’aimerais en savoir plus sur cela dans les prochains tomes !
Tiyyi m’a plus laissé indifférente. Bien sûr, je souhaite de tout coeur qu’elle s’en sorte mais sa naïveté n’engage pas ma sympathie pour elle. Ce que laisse présager la prophétie m’a fait frissonner et je suis curieuse d’en apprendre plus sur la façon tout cela va se produire.
Quant au sorcier Malik, je dois dire que je l’ai bien apprécié. Construit simplement, il n’incarne pas l’apothéose du mal, opérant dans une grande discrétion, sous couvert d’une caravane ambulante.
Les personnages ne sont pas foule, cela amplifie la moiteur confinée de l’univers. Encore un point en plus !
Je l’ai déjà insinué, mais la plume est en parfaite osmose avec l’univers, pour une fois. Arides, desséchées, les phrases sont parfois décousues, souvent hachées, de sorte à nous plonger au coeur de la souffrance chaude du désert. Honnêtement, je m’y voyais, preuve de la force du style.
Mon dernier commentaire sera pour cette sublime couverture, signée Mélanie Delon. Je la suis depuis un bon moment sur les réseaux sociaux et je suis toujours extasiée devant la beauté de ces chefs d’oeuvre. Bref, ici elle remplit parfaitement son office en illustrant un visage important, je suis conquise !
Un livre intense, non pas dans l’action mais dans les traumatismes que sont amenés à suivre les personnages. L’univers est riche, profond, décrit dans des sonorités orientales qui tendent à ancrer cet univers dans des senteurs épicées et dans des paysages arides. Les personnages sont également profonds, évaluant nettement au fil des péripéties. Ce livre se lit d’une traite, je vous l’assure. Et la fin est une frustration aussi bonne que la couverture. Bref, lisez-le, c’est le meilleur Charlotte Bousquet pour moi. J’ai hâte d’avoir la suite entre les mains !
16/20
Ce livre m'intrigue beaucoup depuis sa sortie, et je compte bien me laisser tenter un jour ! :)
RépondreSupprimerEt tu as bien raison ! J'ai trouvé que le livre parvenait à sortir de l'ordinaire, à vaguement se démarquer. J'espère que tu prendras autant de plaisir que moi ;-)
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