Imaginez que les dieux de l'Olympe vivent sur Mars. Ils se
déplacent librement dans le temps et l'espace grâce à leurs pouvoirs
quantiques. Leur plus grand plaisir, c'est la guerre de Troie qui se joue sous
leurs yeux. Pour y mettre un peu plus de piment, ils envoient des érudits
terriens modifier les évènements à leur gré, en gardant toutefois le récit
d'Homère comme référence. Mais en orbite autour de Mars, de petits observateurs
surveillent les jeux divins.
Comme la plupart des livres qui caressent
le coup de cœur, j’ai peur de me lancer dans leur chronique, par crainte de ne
pas rendre compte des qualités de l’œuvre. Comme il faut bien se lancer, je m’y
colle de ce pas – j’éviterai ainsi d’oublier la moitié de mes arguments (il
faudrait que je pense à prendre des notes quand je lis, ça ne serait pas que
bête) !
En conclusion,
splendide, grandiose, puissant. Je lis très peu de science-fiction, si bien qu’Ilium m’a vraiment percutée. J’ai eu
peur de manquer de connaissances pour affronter cette œuvre de grandes
envergures, mais Dan Simmons maîtrise parfaitement son sujet si bien que nous
ne sommes jamais perdus. Que dire de plus ? Le style est complet, les
personnages foisonnent, le plaisir va crescendo jusqu’au recoupement final des
trois intrigues, avec une insidieuse impression que cela part dans tous les
sens, mais où l’on suit l’auteur dans son délire avec un plaisir toujours plus
grand. Je devine d’avance que je ne m’arrêterai pas à une lecture d’Ilium. Un coup de cœur avéré dés les
premiers chapitres !
Le premier
paragraphe a de quoi laisser perplexe. Eh oui, nous sommes plongés d’emblée
dans l’émotion ! Cela est du au fait que nous lisons des phrases ressemblants
aux premiers vers de l’Iliade, voire
sont tirées de l’œuvre même. Ainsi, j’ai eu un peu peur de retomber dans les
méandres de l’épopée homérique, sans finalement trop de changement, ce qui
m’aurait déplu… Enfin, j’ai aimé l’Iliade,
mais je voulais découvrir autre chose… Bref ! La suite dénote directement
avec le récit mythologique d’Homère, avec la présentation d’Hockenberry, un nom
qui ne sonne pas du tout grec. Et pour cause, c’est un scholiaste du XXIe
siècle ressuscité par les Dieux grecques. Que fait-il en plein milieu d’une
guerre antique ? Qui sert-il ? Des questions soulevées dés les
premières pages mais dont il faudra patienter pour obtenir réponses.
Il est assez
cocasse de se voir représenter les grands héros Grecs et Troyens vus par un
homme « contemporain » (pour nous). Cela permet de glisser des
remarques que seul le lecteur de notre temps comprendra mais également de mieux
représenter les caractères des personnages, dont les traits sont grossis
jusqu’à caresser la caricature, apportant une bonne dose d’humour et parfois
même de sarcasmes.
Nous pouvons
considérer que ce récit reprenant l’Iliade
est la trame principale de ce roman car tout va finir par tourner autour de ce
pivot central.
En parallèle
de cela se dressent deux autres intrigues.
Tout d’abord
nous découvrons un univers poussif de la science-fiction, où les personnages se
déplacent par fax et sont servis par des serviteurs et des voynix, des robots
qui les préservent de tout danger. Considérés comme des post-humains, leur vie
est divisée en cinq-vingt, c’est-à-dire cinq cycles de vingt années. C’est
alors que nous découvrons un groupe de jeunes gens, Ada, Hannah et Daemen dont
la personnalité de chacun, très divergente, va les amener à se côtoyer de manière
approfondie lorsque Harman, qui entame son dernier cinq-vingt, apportera la
curiosité et la soif de connaissances qui caractérisent l’espèce humaine,
malgré que cette dernière ait énormément changé depuis la grande migration.
Enfin une
troisième intrigue voit le jour aux côtés des Moravecs, des créatures
robotiques doués d’une importante mémoire et d’une prodigieuse capacité à emmagasiner
des informations à l’infini. Les représentants seront Mahnmut et Orphu d’Io,
grands fans respectifs de Shakespeare et Proust et indissociables au vu de ce
qu’ils subiront. En effet, une mission périlleuse leur est donnée au cours de
leur intrigue, avec toutefois si peu de détails que la curiosité du lecteur ne
peut qu’être attisée.
Ces
trois intrigues s’alternent à chaque chapitre afin que chacune d’elles puisse
progresser à son allure. On prend plaisir à les retrouver tour à tour, même si
certaines sont forcément préférées à d’autres selon les goûts du lecteur.
La
fin connaît une puissante accélération dans les événements et les
rebondissements, avec un recoupement de la plupart des intrigues, si bien que
nous comprenons enfin vers quelle destinée l’auteur faisait tendre ses
personnages. Cependant, tout n’est pas révélé, et l’on devine qu’il faut lire Olympos, le second tome de ce dyptique,
pour en apprendre davantage sur l’ultime bataille entre les Divinités et les
mortels. Seule l’intrigue concernant Harman, Daeman, Ada, Hannah et Odysseus
(qu’est-ce qu’il fout là, lui ?) reste dans un flou global, même si
quelques pistes nous sont données dans les dernières pages (et si le lecteur a
lu le résumé d’Olympos, il sait ce
qui va se passer).
Bien sûr,
résumé ainsi, toute l’intrigue peut paraître très brouillonne, sans queue ni
tête. Je vous assurez pourtant que l’ensemble de l’œuvre forme un tout cohérent
et vraiment intéressant tant par la forme que le contenu. Après tout, Dan
Simmons s’amuse à dresser quelques satires de notre société, qui se repose
progressivement sur les progrès de la science et qui succombe à l’apparition de
nouvelles maladies liées à notre mode de vie.
Il serait trop
long d’évoquer tous les personnages de l’œuvre. Ils sont en effet bien
nombreux, et vous seriez rapidement lassés par l’effet liste que ce nombre
induirait. D’autant plus que les plus importants de ces personnages sont cités
dans le résumé ci-dessus, cela peut vous donner une idée de qui est quoi.
En revanche,
je souhaiterai m’attarder davantage sur Savi. Elle n’apparaît pas sur le champ
dans l’intrigue, mais son entrée en matière est l’occasion de semer les graines
du doute et des incertitudes sur les conditions de vie des post-humains (et là,
vous devriez comprendre qu’elle sera liée à Harman, Daeman, Ada et Hannah). En
effet, elle apparait alors que les jeunes gens (si on oublie l’âge d’Harman) partent
à sa recherche, entraînés par la curiosité d’en apprendre davantage sur la vie
des premiers hommes (c’est-à-dire nous, finalement). Ainsi, qui est Savi ?
Comment a-t-elle pu survivre quatorze mille ans sur une Terre
désaffectée ? Pour quelles raisons est-elle la dernière représentante de
l’espèce humaine ? Et surtout, quel est son objectif final ? Des
énigmes distillées au fil du récit qui trouveront réponses à la toute fin de
l’œuvre pour le plus grand régal du lecteur.
Parmi les
personnages se dressent également la question des Dieux grecs. Idéalisés dans
l’épopée d’Homère, ils nous sont dépeints ici comme soumis aux coups de la
Destinée autant que les mortels, mais aussi comme des individus immatures, près
à se quereller et se déchirer entre eux dés le soulèvement d’une opposition. Dan
Simmons s’attache à glisser de l’anthropomorphisme à travers eux, mais aussi au
travers des Moravecs, Mahnmut et Orphu d’Io, les deux robots qui discourent sur
nos écrivains. Au travers de cela, c’est l’humanité du lecteur que l’auteur
cherche à atteindre (ou alors, je pars encore dans mes délires littéraires,
désolée..).
Pour de la
science-fiction, je ne sais pas pourquoi mais je m’attendais à un style lourd,
difficile à appréhender, très carré et structuré. J’ai eu la grande surprise de
découvrir au contraire quelque chose de très littéraire, fluide et entraînant.
Bien sûr, il y
a un mélange de style : Achille ne va parler comme Zeus, qui ne parlera
pas comme Mahnmut, qui ne parlera pas comme Savi ou Harman. Dan Simmons
construit un jeu de langages et de styles variés, et sa maîtrise de l’ensemble
renforce son génie.
De manière plus
subjective (enfin, à peine !), Dan Simmons est tout simplement un génie,
capable de nous captiver avec très peu de matière, ou du moins une matière
étirée sur un grand nombre de pages (ou de temps, dans le livre).
D’une part, la
science-fiction est très bien installée par des termes très scientifiques qui
nous immergent complètement dans cette atmosphère de physique mixée à la
mythologie grecque.
D’autre part, il maîtrise à merveille l’épopée homérique de
l’Iliade avec le foisonnement des
personnages, leur lignée (parce qu’il n’est pas simple de savoir qui est le
fils de qui, combien il a de frères, etc), leur caractère, les moments de leur
apogée ou au contraire de leur mort. Autant dire qu’il faut avoir lu l’œuvre de
long, en large et en travers, avec en annexe un important travail de
documentation et d’analyse. Mais d’autres œuvres sont citées en parallèle, avec
autant d’importance que l’Iliade,
comme La Tempête de William
Shakespeare ou encore des références aux textes de Marcel Proust.
Je
tiens à préciser qu’il ne doit pas être obligatoire d’avoir lu toutes ces
œuvres pour comprendre le récit. Dan Simmons les maîtrise bien assez pour
retranscrire ce qui est nécessaire à la compréhension du lecteur. Bien sûr,
connaître d’avance les romans évoqués apportent un plus pour comprendre
l’humour de l’auteur et quelques petites allusions, mais cela ne gêne pas si on
met cela de côté.
Comme
je viens de le signaler, l’humour, qu’il soit sincère ou cynique, détient une
place prépondérante dans l’ensemble du texte, revigorant ce dernier et
apportant une touche de légèreté et de liberté sur l’adaptation littéraire.
Je
pense que le seul point négatif réside dans la répartition des temps au cours
du récit. En effet, si on a une accélération des diverses intrigues, avec
notamment un énorme recoupement entre elles, le début et le milieu sont assez
longs, l’auteur prenant le temps de mettre en place la rébellion et ses
nombreux personnages. Pour les lecteurs qui ne sont pas habitués à tant de
longueurs, le risque est qu’ils peuvent décrocher facilement, d’autant plus si
la science-fiction n’est pas leur genre favori.
De
mon côté, ces différences de rythme est justement un point positif. Cela permet
de prendre le temps d’appréhender les mondes dans lequel nous sommes envoyés,
autant que les personnages, et ainsi de mieux apprécier l’univers dépeint.
Le
gros point positif de cette œuvre, c’est que Dan Simmons prouve à tout le monde
qu’il est possible d’adapter des œuvres dites classiques, voire antiques, à un
public contemporain, suscitant ainsi leur curiosité face à elles. Les plonger
dans de la science-fiction, il fallait y penser : Dan Simmons l’a fait et
publie un livre vraiment énorme !
Philippe
Curval disait qu’ «il y a tant d’idées dans Ilium qu’elles pourraient servir à une génération d’écrivain». Il
faut croire qu’on aurait pu dire la même chose d’Homère et de Shakespeare.
Tout à fait d'accord avec toi. Ce que je relève en plus, de ce que tu as écrit, c'est qu'il y a chez Dan Simmons un côté spectacle à l'américaine, divertissement et c'est pourquoi, ses romans, même s'ils sont érudits par moments, sont toujours tournées vers le plaisir du lecteur.
RépondreSupprimerAh, le côté spectacle américain ne m'a pas frappé, mais faut dire que c'est une culture que j'observe peu/qui m'intéresse pas donc je perçois pas forcément les références. Mais maintenant que tu le dis, je suis assez d'accord, que ce soit dans l'univers avec les dinosaures ou celui de l'Antiquité.
SupprimerEn tout cas, je suis contente qu'il t'ait plu ! :D
C'est pas tant les références directes qu'un état d'esprit décomplexé, qui ose tout, en ayant souvent en tête, le plaisir du spectateur/lecteur avec le rythme ou de l'action.
SupprimerJe ne vois pas un écrivain francais oser mettre des dinosaures et la guerre de Troie selon Homère dans un roman SF.
Je comprends mieux ce que tu veux dire. Mais oui, tu as raison. Encore que, Karim Berrouka serait capable, vu son Club des punks contre l'apocalypse zombie.
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