Depuis qu’il a été récompensé par le
prix Pulitzer, Alexander Byrd est à court d’inspiration. En désespoir de cause,
il envisage de s’inscrire au cours d’écriture créative de Colum McCann, qui
attire son attention sur un curieux fait divers, une très vieille dame qui se
serait débarrassée de trois agresseurs avec un outil de jardin et la seule aide
d’un chat, Cat-Oldie. Entre l’écrivain et la vieille dame naît une relation
étrange. Des femmes aussi félines que fatales, sensuelles, protectrices et
violentes, font leur apparition dans sa vie, se révélant impliquées dans une
étrange guerre dont les racines plongent profondément dans l’histoire… La quête
d’Alexander se transforme en une dangereuse investigation qui ravive une guerre
entre services spéciaux impliquant cette mystérieuse matriarche, et le conduit
à requérir l’assistance de ses amis Norman Spinrad et Jerome Charyn…
Mon
avis :
C’est par les larmes que j’ai appris
et accepté (si on peut ne serait-ce qu’accepter un jour la disparition de
quelqu’un…) la mort de Yal le 27 octobre dernier. Avant cela, je m’étais
promise de lire Bastards en novembre
pour qu’il ait la joie de lire ma chronique au détour d’un flux RSS, j’ai
finalement repoussé ma lecture en décembre afin d’être certaine que les larmes
n’affluent plus. Et finalement…
Ce livre et cette chronique ont donc pour moi un goût
particulier, une sorte d’hommage au Maître du Cynisme et des jeux de mots.
J’espère simplement que j’arriverai à retransmettre tout ce que j’ai pu
ressentir durant cette lecture, une fois de plus envoûtante.
Bastards appartient à cette catégorie d’œuvres hybrides qui
plaira à plusieurs types de lecteurs, mêlant thriller et fantastique discrets,
au travers d’une action et d’une réflexion qui gagnent en intensité à chaque
chapitre avant d’éclater en apothéose lors du dernier acte.
Vous avez bien lu, un « acte ». Parce que l’auteur
a fait le choix marquant de ne pas diviser son œuvre en chapitre mais en actes
puis en scènes, accompagné d’un prologue en chaque début pour, ce qui permet de
s’appesantir sur une petite portion précise de l’intrigue, généralement le « portrait »
précis d’un personnage clé tel qu’une Bastard ou le visage de l’ennemi à la fin.
L’intrigue en elle-même est réellement excellente.
Outre le mélange des genres, Ayerdhal s’amuse à multiplier les personnalités de
ces personnages pour créer un univers bien à part, représentatif de la
recherche de l’unicité et de l’individualité qui caractérise notre société
contemporaine.
L’œuvre
débute par une approche du personnage central, Alexander Byrd, indien et
écrivain de son état ayant dernièrement remporté le prix Pulitzer. Seulement,
la panne de la page blanche le hante inlassablement depuis, et il se voit
contraint de faire appel aux conseils d’un ami à lui, Colum McCann, qui va lui
amener plusieurs pistes de recherche pour relancer la « machine à écrire ».
Ainsi la quête de l’écriture se donne comme fil conducteur du récit, même si
elle va se perdre au milieu de l’aspect thriller pour finalement revenir en fin
de livre, plus percutant que jamais. Or cette quête personnelle conduit
progressivement, méthodiquement, à une ébauche d’enquête, avec une première
rencontre avec la sibylline Cat-Oldie, aussi redoutable par les mots que par
les gestes, intriguant l’âme de l’écrivain. Nous dépasserons alors la simple
quête personnelle pour échouer sur une trame initiatique dans un monde où le
réalisme flirte avec l’imagination.
Bon, je parle de l’intrigue de manière concrète, mais
il faut savoir qu’il faut au moins dépasser les deux premiers actes (soit
environ cent pages) pour comprendre le mécanisme que le narrateur souhaite
précisément nous faire entendre, et finalement le dessein final ne sera révélé
que bien après, une fois l’ensemble des explications appréhendées et acquises
par le lecteur.
Après cela, le rythme s’accélère fortement, allant
crescendo à la toute fin où l’on reste « juste » subjugué devant l’intensité
unique du livre. C’est bon, c’est bien, c’est haletant, tout va trop vite. On
en redemanderait presque ! En bref, une fin en apothéose, avec un épilogue
des plus intéressants.
Les personnages ont ici une importance des plus
difficiles à appréhender. Le clan des Bastards se dévoile progressivement au
fil de la quête initiatique de Xander, s’égrenant une par une dans son champ de
vision, semant le doute dans son esprit, dans notre esprit. Les liens qui
unissent chacun de ces personnages se complexifient à chaque apparition, on se
perd dans le croisement des âges et des personnalités, jusqu’à ce que l’arborescence
d’un arbre fasse jour.
Chaque Bastard possède sa personnalité propre, malgré
des gênes identiques. Selon leur génération, leur félinité féminine est plus ou
moins marquée et hypnotise les personnages au même titre que le lecteur. D’ailleurs,
ce dernier peut se comparer à au moins l’une d’elle au vu de la diversité des
caractères, mais toutes restent attachantes à leur manière, et la fin montre
lors des dernières prises de risques.
Les Bastards ne sont pas les seuls personnages
rythmant avec brio le récit. Certains personnages des quartiers de New York sont
également représentés et entretiennent le mythe de la solidarité dans les
milieux défavorisés, où les gens finalement prennent davantage le temps de se
connaître et s’entraider.
J’ai également apprécié le mystère entretenu autour du
visage du Serpent. En effet, si Cat-Oldie et ses acolytes dirigent et
manipulent les esprits vers des pistes tout au long de l’œuvre, ce n’est qu’à
la toute fin que nous est révélés le véritable visage de l’ennemi. De quoi
tenir en haleine au cours de ce pavé, et nous faire sourire d’incrédulité une
fois les révélations faites.
Le style reste fidèle à la plume coutumière de l’auteur.
Fluide, entraînante et envoûtante, elle n’en perd pas moins sa vivacité d’esprit
et son piquant chatouilleur ; elle nous arrache des sourires dans un
cynisme prononcé et envoie des gifles cinglantes dans un sérieux ponctué d’une
prise de conscience aberrante…
Ayerdhal joue également avec une pluralité de
connaissances et de cultures. Alliant mythologie égyptienne et critique de
notre société régie par la loi du dollar et d’un contrôle abusif au nom de la
sécurité, il nous entraîne dans une satire aux multiples facettes, et le
lecteur ne peut que se laisser conduire dans cet équilibre envoûtant.
Je souhaite également souligner la prolifération des références
– on peut même pousser le vice en disant des présences - aux auteurs américains spécialisés dans la
science-fiction, utilisés ici de manière à titiller la curiosité du lecteur sur
certaines œuvres et le pousser à découvrir cette culture, parfois méconnue
selon le lectorat. A la lecture on sentait que ce point représentait une part
importante dans ce travail d’écriture, et Ayerdhal met un point d’honneur pour
réussir son partage de connaissances (en d’autres termes, j’ai gagné l’envie de
lire ces auteurs (et je m’en sortirai sûrement avec une PAL plus grosse
encore…)).
Je m’arrêterai tout de même sur le seul inconvénient
que j’ai relevé – et encore, il concerne surtout l’ensemble de l’œuvre d’Ayerdhal
et non ce roman spécifique. En effet, on retrouve toujours les mêmes schémas
d’intrigue, avec une sorte de cause perdue dont quelques preux héros vont
prendre part pour la défendre et annihiler les germes scabreux. Seulement les
thèmes changent, les moyens pour parvenir à leur fin également, et finalement
c’est une toute nouvelle intrigue que nous livre ici l’auteur. En ce propos
réside tout l’art de l’auteur, on part d’un point faible pour en faire une
force conductrice et entraînante.
Je m’attarde sur une petite remarque personnelle (mais
après tous, les chroniques sont également là pour cela !). Bastards
représente à lui seul un petit pavé, avec une écriture fine et serrée, par
conséquent un roman qui peut en faire rebuter plus d’un. Je ne saurai trop
conseiller de ne pas appréhender cette quantité, mais de se laisser porter sur
la vague qualitative de ce récit. C’est drôle, piquant, vif, intelligent, les
qualificatifs sont innombrables pour désigner ce que suppose concrètement ce
livre. Le plus simple pour convaincre reste sûrement de dire que ce livre se
lit d’une traite : une fois commencée, on n’a du mal à le lâcher et on y
revient de notre propre chef, si bien qu’en quelques jours, tout est bouclé.
De mon côté, je ne saurai que trop remercier Ayerdhal,
son souvenir, pour, une fois de plus, les larmes versées le sourire au bord des
lèvres.
En conclusion, fluide, entraînant et
envoûtant, vif, piquant, parfois violent, souvent drôle ou cynique, les termes
pour qualifier ce livre sont infinis. Les multiples facettes des personnages et
l’intrigue le rendent simplement attachants et inoubliables. Le fantastique
autant que le thriller sont distillés avec parcimonie, les partisans de l’un
comme de l’autre genre y trouveront leur content de plaisir. De mon côté, ce
fut, une fois de plus, un indéniable coup de cœur…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire