27 avr. 2020

Les Sentiers des Astres, tome 3 - Meijo




Pour avoir mis à mort la Croque-Carcasse, l’ourse sacrée du Lempio, la jeune Nisu s’est vue bannie de son île natale, il y a près de dix ans. Pourchassée par une ombre, hantée par l’Outre-songe, elle s’embarquait vers l’Héritage, en compagnie de son amant Meijo.

Par quels caprices du destin l’apprentie chamane est-elle devenue la Courtisane Shakti ? Pour le savoir, le Barde Fintan et ses compagnons devront patienter un peu. Car le répit offert par les Teules, propice aux bons récits, aura bientôt vécu : déjà les flammes rugissent, la forêt boréale résonne d’abois fauves et de cors démoniaques. Il est temps de reprendre la quête du Roi-diseur, de marcher dans les pas des géants ! Et puisqu’il faut déjouer la traque, l’heure est peut-être venue d’emprunter enfin les Sentiers des Astres…



Pourquoi ce livre ? En publiant un petit commentaire sur Instagram, j’ai hésité à préciser que les quatre coups de coeur ressentis pour les livres de Stefan Platteau ont eu lieu en l’espace d’un an et quelques mois. Depuis la tenue du blog, il est devenue rare que je revienne autant vers un même auteur en un si court laps de temps. Il y a peut-être eu Jaworski, Rothfuss… et c’est tout. Voilà pourquoi Meijo, pourquoi les Sentiers des Astres. Parce que l’auteur m’a sublimée.

Meijo tranche franchement avec Shakti, son prédécesseur. Celui-ci se termine comme une fin ouverte, avec le sentiment d’avoir bien plus avancé dans le dit d’une courtisane que dans le présent. Cela ne m’avait pas effrayée, on découvrait une autre culture, d’autres mythes, vu de nos yeux horrifiés les premiers monstres qui hantent petits et grands.

Meijo réussit le pari fou d’être à la fois plus violent et plus intimiste. Cette fois-ci, l’auteur ne lézarde pas sur les sentiers pour nous faire miroiter son récit. C’est direct, d’autant plus brutal que la violence est partout, cachée sous les feuilles les plus anodines. L’agressivité de l’univers rend la peur, que dis-je… la terreur des personnages bien plus perceptible. La voix du barde apporte ce quelque chose, cette transparence du sentiment qui permet de nous transmettre les mots, les décors et les émotions à la perfection. Dans ce présent dur car hostile, j’avais l’impression d’avancer, de courir souvent, aux côtés de nos valeureux héros. Je voyais le dit de Shakti la courtisane comme une interruption à la fois douloureuse, avec le sentiment d’inspirer un bol d’air après un marathon pour mieux plonger dans des ténèbres… Car le dit de Shakti, qui avait si bien commencé, n’est qu’une longue plainte d’âme bafouée. Difficile de dire tout ce que j’ai ressenti en le lisant sans spolier le contenu. Je peux seulement insister sur l’abondance des émotions contradictoires qui m’ont traversée à la lecture, ou l’écoute ?, du dit de la courtisane, allant du besoin de prendre Nisu dans mes bras à celui de la secouer violemment pour qu’elle quitte cette naïveté ridicule.

Vous l’aurez compris, on vit ce roman. Et je m’aperçois que j’avais commencé une idée pour partir carrément sur autre chose ! Shakti prend bien plus de temps à développer le passé de la courtisane. Le présent nous permet de découvrir un nouveau peuple, leurs croyances et coutumes, alors que les guerriers prennent du repos. Seul le début du tome est haletant, avant cette plongée dans une douce langueur. Ici, c’est tout bonnement l’inverse. Croyez-moi quand je vous dis que j’ai été plus d’une fois les muscles tendus en reposant cet ouvrage. Nous avançons, beaucoup, vite, dans ce hasard brumeux, et on perd beaucoup de compagnons en chemin. A dire vrai, j’ai même le sentiment qu’on n’a jamais progressé si vite dans le présent, même dans Manesh. Il se passe énormément de choses sans qu’on se perde dans le déroulé. Comme d’habitude, je m’exprime très maladroitement quand il s’agit d’évoquer un coup de coeur… Vous n’avez qu’à vous arrêter sur le “on vit le roman”. Et j’ajouterai que Fintan Catalynn, sans s’adresser directement au lecteur, m’a donné l’impression de faire partie intimement de cette bande, malgré les tensions entre chacun qui peuvent paraître repoussantes au regard de leur situation.

Jusqu’à maintenant, on ne peut pas dire que cette saga soit placée sous l’égide des révélations qui nous tombent dessus à chaque fin, de sorte qu’on soit pressé de se jeter sur la suite. Pourtant Stefan Platteau réussit le coup de maître de m’avoir laissée sur le cul sur un fait (qui vous révèlerait une partie de Manesh donc je me tairais). Si l’hostilité envers la courtisane ne m’a pas étonné, je trouvais même cela crédible, je ne m’attendais réellement pas à ce revirement et je fus estomaquée par la force de caractère d’un personnage d’apparence si trompeuse.

Et puis la fin vint réellement trop rapidement. Si on comprend comment le dit de Shakti a pu se finir, je suis restée sur un sentiment d’inachevé, avec l’envie d’entendre à nouveau la voix de la courtisane s’élever pour apposer le vrai point final. Et le présent m’a fait mal, car on termine sur une action tonitruante, avec une vraie bonne nouvelle, et derrière soi l’abandon de tellement de compagnons… Un crève-cœur de refermer le livre et de ne pas pouvoir enchaîner sur la suite…

Vous l’aurez compris depuis le temps, la force du roman vient à la fois des mythes, de la plume si juste et de la force des personnages. Ces derniers s’amenuisent inexorablement. Malgré le caractère irascible de la plupart, ce fut douloureux de voir les noms disparaître à jamais, au point où je feuilletais les pages suivantes au hasard dans l’espoir de happer un prénom disparu et découvrir une bonne nouvelle, sans savoir comment le personnage serait réapparu. Mouarf…
Fintan a pris la tête de l’expédition, cela le rend d’autant plus humain qu’il commet des erreurs et ne parvient pas à les assumer. Pourtant, il est prêt à mettre cela de côté le temps de mener sa mission à bien. J’ai trouvé que Shakti et sa fille Kunti se sont affirmées dans ce tome, sûrement en lien avec le récit des mésaventures passées de la mère. Si j’ai préféré suivre Nisu sur ses terres d’origine, j’ai quand même éprouvé du plaisir à suivre sa descente en enfer. Par ailleurs, j’éprouve un attachement étonnant pour Varagwynn le batelier, un personnage discret : il faut preuve de beaucoup de gentillesse et de détermination, traits qui me plaisent bien ! D’ailleurs, il paraît tellement délicat que je ne pensais clairement pas qu’il tiendrait jusqu’au troisième volume. Et tous les autres bien sûr, là ou non, qui me manqueront ou que je suis pressée de retrouver… Qui osera révéler son passé à présent ?

Je l’ai dit et redit. Stefan Platteau ne se lit pas, il s’écoute. Et quand vous avez déjà entendu la voix du bonhomme qui tape sur son clavier pour nous pondre une histoire aussi impossiblement dingue, que vous parvenez à entendre le récit avec sa voix (non, je ne consomme pas de produits issus de la forêt, même en temps de confinement !), c’est une pure merveille. C’est simple, lire une phrase, c’est comme se couler dans des chaussons, thé fumant à côté de soi, pour ressentir cette impression d’être chez soi. Un chez soi avec des arbres et des créatures terrifiantes, mais un chez soi quand même ! Je me régale du lexique employé, mélange de raffinement et de familier, qui nous fait apprécier toute la diversité du vocabulaire français pour éviter les répétitions et autres. C’est indescriptible, c’est comme Jaworski en fait, faut le lire pour comprendre ! En tout cas, c’est une saga qui peut parfaitement se lire à voix haute tellement ça coule tout seul sur la langue.

Petite anecdote anodine mais qui m’a fait sourire… le “ huitante-et-un “ (si je ne me trompe pas). Je sais que l’auteur est belge mais bon dieu, j’étais pas prête ! xD



Meijo réussit le pari fou d’être à la fois plus violent et plus intimiste”. En écrivant cette phrase, j’avais l’impression, très humble évidemment, d’avoir su trouver les mots pour définir cette ambiance tantôt tendue, tantôt pleine de compassion pour ces personnages qui traversent des épreuves éprouvantes. On abandonne tellement de compagnons derrière soi pour avancer encore et toujours que cela devient à la fois une habitude et un crève-cœur constant. Y’a pas à miroiter, je suis toujours autant amoureuse de cette plume qui sait si bien y faire pour rendre les mythes vivants, même si cela doit nous terrifier en même temps. La fin est dure, pleine d’émotions. L’attente pour le quatrième opus, pas encore paru en grand format, va être longue, trop longue...



19/20





Les autres titres de la saga :
Hors série 1. Dévoreur
Hors série 2. Le Roi cornu
1. Manesh
2. Shakti
3. Meijo
- saga en cours -


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