La rivière des mots: Les Sentiers des Astres, tome 1

Quelque part dans la nordique forêt du Vyanthryr, les gabarres du capitaine Rana remontent le fleuve vers les sources sacrées où réside le Roi-diseur, l’oracle dont le savoir pourrait inverser le cours de la guerre civile. À bord, une poignée de guerriers prêts à tout pour sauver leur patrie. Mais qui, parmi eux, connaît vraiment le dessein du capitaine ? Même le Barde, son homme de confiance, n’a pas exploré tous les replis de son âme. Et lorsque les bateliers recueillent un moribond qui dérive au fil de l’eau, à des milles et des milles de toute civilisation, de nouvelles questions surgissent. Qui est Le Bâtard ? Que faisait-il dans la forêt ? Est-il un danger potentiel, ou au contraire le formidable allié qui pourrait sauver l’expédition de l’anéantissement pur et simple ?

Pourquoi ce livre ? Cela longtemps qu’une amie de Licence en Lettres m’avait conseillée cette lecture Fantasy, elle-même ayant été conseillée par un libraire fin connaisseur - il faut le dire. Trois ans plus tard et une année après l’achat de ce premier opus (autant dire qu’il n’a pas traîné, ahah), j’ai enfin découvert cet univers qui mérite énormément d’être connu ! Les scénaristes, vous êtes prévenus.

Ca va être très compliqué d’évoquer quelque chose de ce livre sans vous spoiler les détails. L’auteur délivre son histoire dans une pudeur attachante, conservant le plus longtemps possible ses personnages dans une nappe de mystères que l’on peine à éclairer.

On va commencer par le point faible du livre pour s’en débarrasser sans attendre. Les cent premières pages. Un tel univers, aussi riche et complexe, nécessite une longue mise en contexte. Quand je dis long, le mot est pesé, réfléchi dans son utilisation. La mise en place de l’environnement, des personnages, prend en effet une petite centaine de pages sur les sept cents que recèlent l’ouvrage. Un septième du livre y passe. C’est beaucoup, il faut en avoir conscience.

C’est beaucoup, mais ça vaut le coup ! Oui, c’était facile comme rime mais ça va vous marquer donc peu importe.

Le titre du livre, au début de notre lecture, on ne sait pas ce que c’est ou qui c’est. Un Dieu, un personnage, un lieu ? C’est en venant à bout des cent premières pages qu’on apprend la vérité derrière ce mot, de là découle notre compréhension. Vint le temps de dévorer le livre.

On oscille en une alternance de point de vue de deux personnages, chacun rapportant un temps qui lui est propre. D’abord, nous suivons les pas d’un barde, Fintan Catalynn, qui manie l’arc aussi bien que les mots. Avec une douceur de caractère et une pertinence du verbe, il est le point d’ancrage des deux gabarres, la soudure relationnelle entre tous, malgré les caractères et les passés de chacun.

Toutefois ce n’est pas le seul à maîtriser l’art de la palabre. Les deux gabarres composant notre environnement pour un long moment vont croiser un pauvre errant sur leur route, flottant sur une branche tel un naufragé sur son radeau. Mystérieux et énigmatiques, fiévreux et sur le point de succomber, le climat de guerre à l’origine de cette intrigue n’offre pas la possibilité de le traiter en ennemi. Qui est-il ? Quelle est la raison de sa présence en des lieux si hostiles ? Est-il rattaché à une cause ? L’inconnu reste silencieux et, comme on pouvait s’y attendre, le capitaine ne veut souffrir aucun risque. Et qui d’autre que le barde est le mieux placé pour arracher l’histoire d’un personnage ? Surnommé Bâtard pour qu’il ait un nom malgré ses silences, ce dernier va se dévoiler peu à peu, prenant son temps pour la plus grande frustration de la troupe et le plus grand plaisir du lecteur. Vint le temps du passé, pour découvrir la mythologie de ce monde si complexe, pour appréhender les peuples, la guerre et tout ce qui façonne avec une telle richesse cet univers.

Je dois dire que cette alternance est parfaite. Entre découverte dans le passé et la tension du présent, notre attention reste perpétuellement à l’affût, titillée par la plume et les détails insufflés par l’auteur. Cela prodigue du rythme, tout en somme pour nous scotcher à cette oeuvre d’envergure.

J’ai eu peur pour la fin. Tout bascule, les personnages ont les nerfs à vifs et notre Bâtard doit livrer les dernières bribes de son histoire. Si j’ai crains d’être déçue par la conclusion de son récit, c’est surtout l’enchaînement de trois ou quatre gros chapitres avec lui que j’ai “mal vécu”. On parvient à l’aboutissement concret, on perd le rythme de l’alternance pour se focaliser sur la mission, les dangers. C’est intéressant mais le passage subit une longueur sur une cinquantaine de pages.

Par ce simple fait, le livre a failli passer à côté du podium. Oui, mais c’était sans compter sur le dernier chapitre suivi de son épilogue. Je ne peux rien vous dire, ce serait gâcher votre plaisir. Sachez juste j’ai adoré, parce que cette fin nous torture et nous intrigue à la fois. Je plains ceux qui ont lu ce livre à sa sortie, qui n’avaient pas le second tome sous le coude pour enchaîner la lecture. Parce que, moi, je vais courir en librairie acheter la suite !

Les personnages sont puissants. On ne connaît d’eux que ce qu’ils veulent bien nous dévoiler ou ce que Fintan nous révèle. Cela entretient le mystère et accroît notre curiosité. Fintan et le Bâtard sont bien entendus important mais ne sont pas seuls sur ces gabarres.

Le capitaine et seigneur Rana impose par son charisme. Je parvenais à me l’imaginer lors de ma lecture, mâchoire carrée et yeux perçants. Son frère, plus réservé, présente les mêmes attraits, même si c’est davantage sa magie de bramynn que sa carrure qui impose le respect.

D’autres personnages fourmillent et ils seraient trop longs de tous les évoquer. J’ai mes préférences, même s’ils m’ont tous plu par leur simplicité, leur détermination, leur diversité.

La plume porte toute la magie de l’ouvrage. Différente selon le conteur, le point de vue, elle conserve une légitimité et un fil identique malgré tout, marquant la personnalité de l’auteur à travers elle. Douce et enivrante, elle nous entraîne sans heurt de bout en bout, avec une légèreté et une fluidité exquise. Je me suis régalée, littéralement, me nourrissant de cette oeuvre. Difficile d’apprécier un autre style après cette lecture, il va me falloir un temps d’adaptation qui montre combien je me suis imprégnée.

Je tiens à mettre un point d’honneur sur le résumé. Les éditions J’ai lu ont maîtrisé leur résumé de sorte à donner envie de lire l’ouvrage sans spoiler quoi que ce soit, cela faisait longtemps que je n’avais pas été satisfaite par un résumé et je suis contente qu’il serve si bien ce premier opus. N’ayez crainte, le livre comme la volonté de l’auteur de distiller les informations au compte-gouttes sont respectés. Et chapeau, car l’exercice n’était pas simple.

Il existe des livres qui nous apprennent à nous dépasser pour atteindre l’extase littéraire. Manesh en fait parti. Il faut avoir la patience d’appréhender cet univers riche et complexe, de dépasser la difficulté des cent premières pages, dans le but de plonger dans un univers mythologique maîtrisé, envoûtant. Tout est force ici, que ce soit l’univers, les personnages divers et profonds, la plume légère, fluide, entraînante. On suit la voix d’un barde, on suit la vie d’un Bâtard, on découvre, on appréhende, on vit. Ce n’est pas exagéré de dire que je me suis sentie orpheline l’espace d’un instant en refermant ce livre. Je me suis souvenue qu’il existait une suite. Le sourire est revenu, et l’envie de retrouver Fintan ne tardera pas à me faire céder...