9 déc. 2015

Bastards

Synopsis :

            Depuis qu’il a été récompensé par le prix Pulitzer, Alexander Byrd est à court d’inspiration. En désespoir de cause, il envisage de s’inscrire au cours d’écriture créative de Colum McCann, qui attire son attention sur un curieux fait divers, une très vieille dame qui se serait débarrassée de trois agresseurs avec un outil de jardin et la seule aide d’un chat, Cat-Oldie. Entre l’écrivain et la vieille dame naît une relation étrange. Des femmes aussi félines que fatales, sensuelles, protectrices et violentes, font leur apparition dans sa vie, se révélant impliquées dans une étrange guerre dont les racines plongent profondément dans l’histoire… La quête d’Alexander se transforme en une dangereuse investigation qui ravive une guerre entre services spéciaux impliquant cette mystérieuse matriarche, et le conduit à requérir l’assistance de ses amis Norman Spinrad et Jerome Charyn…

Mon avis :

            C’est par les larmes que j’ai appris et accepté (si on peut ne serait-ce qu’accepter un jour la disparition de quelqu’un…) la mort de Yal le 27 octobre dernier. Avant cela, je m’étais promise de lire Bastards en novembre pour qu’il ait la joie de lire ma chronique au détour d’un flux RSS, j’ai finalement repoussé ma lecture en décembre afin d’être certaine que les larmes n’affluent plus. Et finalement…
Ce livre et cette chronique ont donc pour moi un goût particulier, une sorte d’hommage au Maître du Cynisme et des jeux de mots. J’espère simplement que j’arriverai à retransmettre tout ce que j’ai pu ressentir durant cette lecture, une fois de plus envoûtante.

Bastards appartient à cette catégorie d’œuvres hybrides qui plaira à plusieurs types de lecteurs, mêlant thriller et fantastique discrets, au travers d’une action et d’une réflexion qui gagnent en intensité à chaque chapitre avant d’éclater en apothéose lors du dernier acte.
Vous avez bien lu, un « acte ». Parce que l’auteur a fait le choix marquant de ne pas diviser son œuvre en chapitre mais en actes puis en scènes, accompagné d’un prologue en chaque début pour, ce qui permet de s’appesantir sur une petite portion précise de l’intrigue, généralement le « portrait » précis d’un personnage clé tel qu’une Bastard ou le visage de l’ennemi à la fin.

L’intrigue en elle-même est réellement excellente. Outre le mélange des genres, Ayerdhal s’amuse à multiplier les personnalités de ces personnages pour créer un univers bien à part, représentatif de la recherche de l’unicité et de l’individualité qui caractérise notre société contemporaine.
L’œuvre débute par une approche du personnage central, Alexander Byrd, indien et écrivain de son état ayant dernièrement remporté le prix Pulitzer. Seulement, la panne de la page blanche le hante inlassablement depuis, et il se voit contraint de faire appel aux conseils d’un ami à lui, Colum McCann, qui va lui amener plusieurs pistes de recherche pour relancer la « machine à écrire ». Ainsi la quête de l’écriture se donne comme fil conducteur du récit, même si elle va se perdre au milieu de l’aspect thriller pour finalement revenir en fin de livre, plus percutant que jamais. Or cette quête personnelle conduit progressivement, méthodiquement, à une ébauche d’enquête, avec une première rencontre avec la sibylline Cat-Oldie, aussi redoutable par les mots que par les gestes, intriguant l’âme de l’écrivain. Nous dépasserons alors la simple quête personnelle pour échouer sur une trame initiatique dans un monde où le réalisme flirte avec l’imagination.
Bon, je parle de l’intrigue de manière concrète, mais il faut savoir qu’il faut au moins dépasser les deux premiers actes (soit environ cent pages) pour comprendre le mécanisme que le narrateur souhaite précisément nous faire entendre, et finalement le dessein final ne sera révélé que bien après, une fois l’ensemble des explications appréhendées et acquises par le lecteur.
Après cela, le rythme s’accélère fortement, allant crescendo à la toute fin où l’on reste « juste » subjugué devant l’intensité unique du livre. C’est bon, c’est bien, c’est haletant, tout va trop vite. On en redemanderait presque ! En bref, une fin en apothéose, avec un épilogue des plus intéressants.

Les personnages ont ici une importance des plus difficiles à appréhender. Le clan des Bastards se dévoile progressivement au fil de la quête initiatique de Xander, s’égrenant une par une dans son champ de vision, semant le doute dans son esprit, dans notre esprit. Les liens qui unissent chacun de ces personnages se complexifient à chaque apparition, on se perd dans le croisement des âges et des personnalités, jusqu’à ce que l’arborescence d’un arbre fasse jour.
Chaque Bastard possède sa personnalité propre, malgré des gênes identiques. Selon leur génération, leur félinité féminine est plus ou moins marquée et hypnotise les personnages au même titre que le lecteur. D’ailleurs, ce dernier peut se comparer à au moins l’une d’elle au vu de la diversité des caractères, mais toutes restent attachantes à leur manière, et la fin montre lors des dernières prises de risques.
Les Bastards ne sont pas les seuls personnages rythmant avec brio le récit. Certains personnages des quartiers de New York sont également représentés et entretiennent le mythe de la solidarité dans les milieux défavorisés, où les gens finalement prennent davantage le temps de se connaître et s’entraider.
J’ai également apprécié le mystère entretenu autour du visage du Serpent. En effet, si Cat-Oldie et ses acolytes dirigent et manipulent les esprits vers des pistes tout au long de l’œuvre, ce n’est qu’à la toute fin que nous est révélés le véritable visage de l’ennemi. De quoi tenir en haleine au cours de ce pavé, et nous faire sourire d’incrédulité une fois les révélations faites.

Le style reste fidèle à la plume coutumière de l’auteur. Fluide, entraînante et envoûtante, elle n’en perd pas moins sa vivacité d’esprit et son piquant chatouilleur ; elle nous arrache des sourires dans un cynisme prononcé et envoie des gifles cinglantes dans un sérieux ponctué d’une prise de conscience aberrante…

Ayerdhal joue également avec une pluralité de connaissances et de cultures. Alliant mythologie égyptienne et critique de notre société régie par la loi du dollar et d’un contrôle abusif au nom de la sécurité, il nous entraîne dans une satire aux multiples facettes, et le lecteur ne peut que se laisser conduire dans cet équilibre envoûtant.
Je souhaite également souligner la prolifération des références – on peut même pousser le vice en disant des présences -  aux auteurs américains spécialisés dans la science-fiction, utilisés ici de manière à titiller la curiosité du lecteur sur certaines œuvres et le pousser à découvrir cette culture, parfois méconnue selon le lectorat. A la lecture on sentait que ce point représentait une part importante dans ce travail d’écriture, et Ayerdhal met un point d’honneur pour réussir son partage de connaissances (en d’autres termes, j’ai gagné l’envie de lire ces auteurs (et je m’en sortirai sûrement avec une PAL plus grosse encore…)).

Je m’arrêterai tout de même sur le seul inconvénient que j’ai relevé – et encore, il concerne surtout l’ensemble de l’œuvre d’Ayerdhal et non ce roman spécifique. En effet, on retrouve toujours les mêmes schémas d’intrigue, avec une sorte de cause perdue dont quelques preux héros vont prendre part pour la défendre et annihiler les germes scabreux. Seulement les thèmes changent, les moyens pour parvenir à leur fin également, et finalement c’est une toute nouvelle intrigue que nous livre ici l’auteur. En ce propos réside tout l’art de l’auteur, on part d’un point faible pour en faire une force conductrice et entraînante.

Je m’attarde sur une petite remarque personnelle (mais après tous, les chroniques sont également là pour cela !). Bastards représente à lui seul un petit pavé, avec une écriture fine et serrée, par conséquent un roman qui peut en faire rebuter plus d’un. Je ne saurai trop conseiller de ne pas appréhender cette quantité, mais de se laisser porter sur la vague qualitative de ce récit. C’est drôle, piquant, vif, intelligent, les qualificatifs sont innombrables pour désigner ce que suppose concrètement ce livre. Le plus simple pour convaincre reste sûrement de dire que ce livre se lit d’une traite : une fois commencée, on n’a du mal à le lâcher et on y revient de notre propre chef, si bien qu’en quelques jours, tout est bouclé.

De mon côté, je ne saurai que trop remercier Ayerdhal, son souvenir, pour, une fois de plus, les larmes versées le sourire au bord des lèvres.


 En conclusion, fluide, entraînant et envoûtant, vif, piquant, parfois violent, souvent drôle ou cynique, les termes pour qualifier ce livre sont infinis. Les multiples facettes des personnages et l’intrigue le rendent simplement attachants et inoubliables. Le fantastique autant que le thriller sont distillés avec parcimonie, les partisans de l’un comme de l’autre genre y trouveront leur content de plaisir. De mon côté, ce fut, une fois de plus, un indéniable coup de cœur…






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