Les Aiguilles d'or

An de grâce 1882. New York fête la nouvelle année entre opulence et misère. Dans les beaux quartiers, le juge James Stallworth a pour grand projet d'éradiquer le vice de l'un des coins les plus gangrenés de la ville, le tristement célèbre Triangle Noir. Avec l'aide de son fils, Edward, pasteur moralisateur aux sermons incendiaires, et de son gendre, Duncan, jeune avocat promis à un brillant avenir, le juge compte bien faire un exemple retentissant en annihilant une lignée corrompue de criminelles : les Shanks.

Pourquoi ce livre ? Depuis ma lecture de Blackwater, la saga littéraire qui a tant fait parler d’elle, j’ai très envie de découvrir plus en profondeur la bibliographie de Michael McDowell. Bonne aubaine, l'éditeur a reniflé le jackpot avec cet auteur et a décidé de publier une partie (voire la totalité) de ses œuvres. De quoi me ravir !

Les Aiguilles d'Or est,une fois de plus, un récit qui prend son temps. Dans un décor new-yorkais convaincant, malgré l'absence de description, l’auteur nous dresse le portrait d’une société aux inégalités multiples. La naissance, la filiation, la loi, tout est une affaire de morale ou de bassesse. Du moins c’est ainsi qu’on le découvre par le prisme de cette famille bourgeoise dont le patriarche est un juge. Stallworth, un nom important en cette année 1882.

J’ai beaucoup aimé que le fond de l’intrigue prenne véritablement son temps. Grâce à cela, l’accent est porté sur cette société décadente, où les riches s'enrichissent toujours plus sur les pauvres. Cela commence par un prologue marquant, où chaque classe sociale est dépeinte lors d’une soirée de nouvel an. Cela va évidemment s’accentuer au fur et à mesure de la lecture.

C’est une affaire de justice et de vengeance car l’un ne va pas sans l’autre. Afin de monter en puissance dans la société, la famille Stallworth va enquêter et malmener un quartier populaire, “enquiquinant” les Sharks, qui y règnent avec discrétion. Les deux familles s'étalent chacune sur trois générations, information qui aura son importance.

À l’instar de Blackwater, tout prend son temps. On découvre les personnages, on se familiarise à eux, leur métier, leurs valeurs, les enjeux autour de leurs décisions, etc. Passé le premier tiers, on oscille de justice en justice avant de sombrer en vengeance… mais tout prend son temps et tout n’est l’affaire que de quelques pages.

Ce roman n’est pas vraiment de l'horreur. Certaines scènes sont gores et la présence d’hémoglobine récidive, toutefois c’est davantage un récit d'ambiance, une fresque familiale voire sociétale. Ça ne fait donc pas peur, même si les idées pour obtenir réparation sont souvent glaçantes. C’est aussi cela qui fut rafraîchissant à mes yeux, de voir comment une personne de basse extraction peut fomenter de telles stratégies.

Je ne me suis pas attachée aux personnages. Comme ils sont utilisés à des fins de satire de la société moderne, j’ai vu leur rôle avant de voir leur âme. De fait, ce fut difficile de me détacher de cette vision, d’autant plus que les personnalités semblent exagérées, tournées vers la caricature.

Je pense malgré tout que je retiendrai davantage le personnage d’Helen qui, même si ce sont pour de mauvaises raisons ou de mauvaises valeurs, a su se rebeller face à sa famille pour faire ce qu’elle pensait être le vrai bien, où réside la morale et les valeurs chrétiennes.

Le style est en revanche toujours aussi limpide. Je ne sais pas si la traduction est nouvelle ou ancienne, si elle a été révisée. Dans tous les cas, ce pavé de plus de cinq cents pages se lit très bien, c’est d’une fluidité et d’une finesse confondantes.

Une excellente découverte, qui me donne envie de me jeter sur la prochaine parution (Katie, qui sort dans une semaine !). C’est un bonbon, fin par sa plume, acidulé par cette histoire de vengeance. La critique est omniprésente, lucide, avec des enjeux qui vont au-delà de ces deux familles. Je suis toujours satisfaite quand la famille plus modeste semble également la plus intelligente et la plus adepte d’une bonne morale, malgré les actes commis. Bref, j’ai adoré cette lecture rafraîchissante !

17/20