« J'ai retrouvé ce journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château.
Je n'ai aucun souvenir de l'avoir écrit.
Je sais que je l'ai fait, que c'est moi qui l'ai écrit, je reconnais mon écriture et le détail de ce que je raconte, je revois l'endroit, la gare d'Orsay, les trajets, mais je ne me vois pas écrivant ce Journal. Quand l'aurais-je écrit, en quelle année, à quelles heures du jour, dans quelles maisons ? Je ne sais plus rien. [...]
Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais pas encore nommer et qui m'épouvante quand je la relis. Comment ai-je pu de même abandonner ce texte pendant des années dans cette maison de campagne régulièrement inondée en hiver.
La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot « écrit » ne conviendrait pas. Je me suis trouvée devant des pages régulièrement pleines d'une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n'ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m'a fait honte. »
C’est toujours très compliqué de juger un roman témoignage sur une période d’Histoire aussi chargée que celle-ci. A dire vraie, j’ai hésité à critiquer ce roman, en connaissant la part de douleur, la véritable douleur qu’a du ressentir Duras en relisant ses feuillets. Et puis je me suis dit que ce serait indigne de le laisser de côté alors qu’il sert justement à dénoncer les affres de la guerre, la douleur qu’elle suscite sur ceux restés en arrière.
Car oui, ce livre (du moins sa première partie) relate au lecteur comment les femmes, enfants, les invalides, subissent l’attente une fois la guerre terminée. Le courrier met du temps à revenir, les Allemands abandonnent leur poste ou prennent le temps de fusiller les prisonniers. Les proches font-ils partis des condamnés ou des bénis ?
Difficile de ne pas se sentir incluse, concernée, dans ce témoignage poignant. Si je savais quel en serait le résultat ayant lu un extrait de L’espèce humaine, je ne fus pas mise à l’écart pour autant. La douleur de l’attente, la joie éphémère de le retrouver, envolée rapidement par la douleur, à nouveau, de voir l’être aimé métamorphosé, méconnaissable. Pour tout vous dire, j’ai fait un cauchemar où mon homme prenait la place de R. (en réalité Robert Antelme), pour vous montrer à quel point ce livre est marquant.
Je ne ferai pas de commentaire sur les autres œuvres. Comparées à La Douleur, elles font presque pâles figures à mes yeux.
Les personnages sont eux aussi marquants. Si certains s’effacent rapidement, il est étonnant de voir que seul l’un d’entre eux, et pour des raisons égoïstes, soutient Marguerite dans cette longue « traversée ». Quant à cette dernière, elle nous livre ses pensées dans une plume horriblement puissante. Je ne peux pas dire réaliste, n’ayant pas connu pareille situation ni ressenti pareille émotion, mais la volonté de la plume qui trahit un traumatisme complet… Enfin, c’est difficile à décrire. L’ensemble de l’œuvre nous plonge dans une atmosphère difficilement supportable. Je fus bien contente de l’avoir terminé, parce qu’il m’a énormément fait déprimer…
Une œuvre marquante qu’il faut absolument avoir lu dans sa vie pour comprendre une partie de l’Histoire étudié par un regard bien souvent oublié : celui de ceux restés en arrière. Une expérience marquante, poignante, qui n’est pas prête de me « foutre la paix ».
13/20
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