30 janv. 2025

Aatea




Navigateur capable de diriger son voilier solaire sur les océans en suspension de la Nuée, Aatea n’en demeure pas moins un paria aux yeux de son peuple : né en mer, il ne possède pas le filament, cet organe symbiotique qui permet aux siens de coexister avec de gigantesques îles vivantes. Seules ses expéditions maritimes l’aident à endurer la servitude à laquelle le contraint le système des castes.
Or, après une attaque de pirates qui coûte la vie à tous ses passagers, Aatea perd le droit de naviguer. Il choisit alors l’impensable : fuir la sécurité des îles, tout abandonner et suivre les traces de sa grand-mère, une exploratrice dont les récits ont bercé son enfance.
Tandis qu’un froid inhabituel s’abat sur le monde, Aatea part seul sur les flots instables, déterminé à voyager plus loin que quiconque. Cependant, dans la Nuée, où tout se dévore et se déchire, de nombreux dangers guettent le navigateur ; des dangers mais aussi des rencontres, de celles qui ancrent une vie et lui donnent un sens.



Pourquoi ce livre ? Si vous êtes féru de littérature de l’imaginaire, alors cette autrice ne peut pas vous être inconnue. Que ce soit à l’écrit ou dans les illustrations, son patronyme fleurit un peu partout depuis quelques années. En ce qui me concerne, j’ai découvert Anouck Faure avec La Cité diaphane, un coup de cœur qui m’a d’emblée fait tomber en amour de cette créatrice. Aaeta est son nouveau roman paru début janvier chez Argyll. Le roman avait à peine rejoint ma PAL que je l’en sortais, certaine d’adorer.

Mon libraire m’a mis en garde contre le prologue, le définissant comme très différent du reste du roman, comme si les choses n’avaient rien à voir. Il insistait tellement qu’il en a soulevé quelques craintes. Le soir-même, j’ai voulu dissiper le malentendu et m’en faire ma propre idée. Pendant que le repas mijotait, j’ai feuilleté… puis dévoré les quelques pages (au point d’en oublier de surveiller la cuisson !). J’ai plongé avec délice dans la poésie toute sensuelle, pudique, d’Anouck Faure. Je me suis même demandée si mon libraire me connaissait réellement, à me mettre tant en garde face à un texte qui ne pouvait que me toucher.

Mon libraire n’avait pourtant pas totalement tort sur un point : le prologue est très différent du reste du roman. Là où les premiers mots offrent un regard acéré sur la complexité des castes et le rôle du filament, le suite est une aventure palpitante dans un monde hostile, la quête d’un jeune homme repoussé par les siens. Suite à la perte d’un proche ascendant et à une injustice sociale, Aatea se décide à fuir les siens et à prendre le large pour creuser l’histoire de ses origines et en apprendre plus sur l’étendue et la complexité de la Nuée.

Tout sonne avec justesse, dans cette œuvre. Les personnages étant avares d’échanges et pudiques dans leurs émotions, les mots sont pesés, réfléchis, avant d’être partagés. Pourtant c’est en partie l’ouverture aux autres, ce besoin d’apprendre et de partager, qui forme le sel de cette lecture. Piégé dans les coutumes retorses d’Enatak, Aatea subit de plein fouet sa soumission et sa mise à l’écart des secrets. Suite à sa fuite, son évolution est marquante et l’émotion qu’il développe progressivement au contact des peuples qu’il rencontre nous touche forcément.

Pour opposés qu’ils soient, une véritable alchimie subsiste entre la fragilité du protagoniste en quête d’une ancre et l’hostilité permanente de l’univers. La Nuée est un endroit peu sûr, même la capacité d’oncevoir ne peut pleinement protéger des multiples incarnations du danger. Qu’est-ce que j’ai adoré m’y perdre avec Aatea, découvrir tous ses décors, ses zones d’ombre et les quelques peuples que l’on croise au fil du voyage.
Loin de partager cette façon de vivre, les autres personnages rencontrés ne feront que renforcer l’univers et la complexité qui le composent.

L’intrigue se concentre sur le rapport à soi, le rapport aux autres. Dans la morne linéarité du décor, ce sont les échanges qui jalonnent la route d’Aatea qui apportent un réel enrichissement. Au-delà de la notion de survie et de la protection de sa tribu, l’exercice de cohabitation ou les démonstrations de puissance aka violence tendent à questionner notre jeune aventurier et à le pousser toujours plus loin dans sa quête des lumières. Ainsi, j’ai largement préféré les passages où il séjourne parmi un peuple, peu importe les valeurs de ce dernier, aux instants où il est tout seul ou presque, où il m’est arrivé de m’ennuyer. Et c’est pour cette raison que ce livre n’est pas un parfait coup de cœur.

J’ai dit “seul ou presque” à la fin du paragraphe précédent car, très vite, Aaeta va être accompagné d’un personnage dont il se serait au départ bien passé. On devine que cette présence va être importante dans la quête du héros. Je ne pensais pas que ce serait dans ce sens-là. Au cœur de sa propre quête d’identité, Aatea va devoir forger l’identité de son protégé. Une mission dont il se serait bien passé, étant donné les propres affres auxquels il doit faire face.
Cette présence va m’offrir, à la fin du livre, un de mes plus puissants moments d’émotion. Vraiment, l’épilogue a eu l’effet d’un coup de poing où gorge et cœur se sont resserrés en un nœud que seul le sel des larmes a su libérer. La fin sonne aussi juste que le reste, il ne pouvait en être autrement, mais les adieux déchirants ont sifflé telle une gifle.




En raison de quelques longueurs par-ci par-là, ce n'est pas le coup de coeur parfait. Il est cependant indéniable que j'ai passé un moment merveilleux en dépit de cet univers hostile et sauvage, non pas moins emprunt de sensibilité et de poésie. Porté par une plume pudique, à l'image des personnages au début de la lecture, je me suis attachée à ce personnage touchant qui se cherche. La fin fut un déchirement que je n'avais pas vu venir, la rendant plus cinglante et émouvante encore. Bref, Aatea est une lecture marquante qui me suivra longtemps dans mon parcours de lectrice.


19/20

Aatea d'Anouck Faure, Argyll, 421 p.
Couverture par Xavier Collette (Coliandre)


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