Ils ont le talent. Ils ont la capacité de pénétrer mentalement dans notre esprit pour nous transformer en marionnettes au service de leurs perversions et de leur appétit de pouvoir. Ils tirent les ficelles de l'Histoire. Sans eux le nazisme n'aurait peut-être pas été cette monstruosité dont nous avons du mal à nous remettre, Lee Harvey Osvarald n'aurait peut-être pas été abattu par jack Ruby, John Lennon n'aurait pas été assassiné devant chez lui, les fanatismes de tous ordres ne se réveilleraient pas de façon aussi systématique et nombre de flambées de violence, tueries, accidents inexpliqués, n'auraient peut-être pas ensanglanté notre époque. Car ils se livrent aussi entre eux, par " pions " interposés, à une guerre sans merci. A qui appartiendra l'omnipotence ? Sans doute à celui qui aura le plus soif de pouvoir.
Pourquoi ce livre ? C’est grâce aux hasards de la bibliothèque municipale que j’ai découvert Dan Simmons. Enchantée par sa sublime plume et des idées originales, je n’ai de cesse depuis de découvrir, lentement mais sûrement, l’ensemble de son oeuvre.
Cette première partie de L’Echiquier du Mal, intitulée “Ouverture”, m’a fait replonger avec un immense plaisir et un frisson de plaisir coupable dans son imaginaire. Et pourtant, le décor ne se prête pas à tant de gourmandises… La Seconde Guerre mondiale fait rage dès le prologue et nous plonge dans un univers glacial. Le personnage présenté, Saul, est sur le point de connaître un sort terrible… qu’on apprendra plus tard dans la partie. On devine cependant qu’il se passe des choses étranges dans ce camp de concentration, et je ne sous-entend pas que le nazisme par cela.
Je suis à chaque fois subjuguée de voir comment Dan Simmons déjoue les codes pour nous présenter son histoire. Ici encore, il parvient à innover dans la mise en forme de son récit. Trois parties, pour l’ “Ouverture”, le “Milieu de partie” et la “fin de partie”. Trois temps qui nous laissent un indice du rythme de chaque partie. Mon plaisir était sincère, toutefois j’ai légèrement perdu pied en comprenant que l’auteur n’allait pas nous donner toutes les clés de cette monstrueuse partie dès les premiers chapitres. Il faut d’ailleurs presque attendre la fin de cette introduction pour percevoir dans quel camp vont se ranger les pions.
Cette partie se veut donc très introductive et je comprends pourquoi elle n’est jamais sortie seule (l’édition regroupant le début et le milieu). Car cette fin de partie (enfin la fin de la première partie, vous suivez ?) est outrageusement frustrante. Après une intrigue qui nous décrit seulement quels sont les partis et leurs alliances, nouvelles ou antérieures au commencement de ce petit jeu, le dernier chapitre retentit d’action et de tension… et nous laisse en plan. Ma frustration était aussi intense que mon plaisir et je suis heureuse que ma binôme de lecture accepte d’enchaîner sans trop attendre !
Chose qui m’a marquée sans me choquer, le sexe est extrêmement présent. Quand on connaît le penchant pour la luxure des créatures mises en scène, je conçois tout à fait qu’on ait des tableaux sexuels qui ne tombent pas dans l’érotisme. Personnellement j’ai bien aimé leur présence mais je déconseille âme sensible et jeune public de se pencher sur ce livre.
Finalement cette partie se concentre sur les personnages mais on ne tire que très peu de choses d’eux - faut déjà réussir à les replacer dans leur contexte, car les chapitres alternent leur présence (ou les différents camps) et au début ce n’est pas aisé de s’y retrouver. Je disais donc qu’il n’est pas simple de percevoir quelles sont les intentions de chacun mais également leur caractère, leur passé. Beaucoup restent réserver, par prudence devant l’inconnu. Cela n’aide pas forcément à s’attacher, et pourtant j’ai ressenti comme une forme d’empathie, et ce pour des personnages des deux camps, ce que je trouve formidable. Dan Simmons introduit ce qui laisse supposer un combat acharné en réussissant le tour de force de ne pas nous faire prendre partie - même si un camp est exposé clairement comme la victime. J’ai grandement hâte de voir comment la suite va être jouée !
La seconde partie, “Milieu de partie”, m’a un peu plus déçue. Un peu plus longue, il faut encore une fois attendre la fin pour obtenir une action tranchante, sanglante, marquante. Jusque-là, le jeu de pouvoir évolue, se distend, on se concentre davantage sur Mélanie, Nathalie, Gentry et Saul, ce qui n’est pas un mal, permettant de laisser d’autres personnages et leur stratégie dans l’ombre. J’ai bien aimé cette partie, mais c’est celle que j’ai le moins apprécié par son manque de vigueur et de retentissement.
Quant à la fameuse “Fin de partie”, ce fut un pur régal. Je l’ai attaquée en étant fatiguée et j’ai préféré le reposer pour réellement le savourer et j’ai bien fait. Dès le départ les choses bougent, les liens se tissent et deviennent perceptibles, jusqu’aux cent dernières pages où tout ce que l’on croyait sûr explose et bouleverse le jeu. Je voulais de la tension, j’ai été servie et moi qui me plaignais de ne pas voir, dans la narration, trace d’un échiquier, j’ai été détrompée sur cette fin majestueusement scandaleuse !
Comme je le disais, le style d’écriture, pour un livre d’une telle envergure, reste très accessible. Mon édition en intégrale a choisi une typographie serrée (ce qui ne me gêne pas en soi) mais je craignais de peiner sur cette lecture par un combo petite taille de police et style lourd. Eh bien que nenny ! Ca se lit vraiment tout seul et je n’ai pas vu les pages défiler, emportée par ce style léger, mature, impeccable.
Il en faudrait plus des comme lui… ou pas, parce qu’on perdrait tout plaisir de replonger dans une de ses œuvres. Je ne m’attendais pas à si peu d’actions dans cette première partie, il faut avoir conscience de plonger dans une introduction à la fin haletante en ouvrant ce bouquin. Cela dit, l’art de la belle plume (et bonne traduction) et une intrigue intelligente donnent envie de tout dévorer sans attendre ! Et c'est ce que je fais, en respectant les délais d'une lecture commune. C'est intelligent, plein de tension, avec une réflexion sur le comportement humain et ce qui définit et, ou, différencie la sauvagerie. Pas un coup de cœur car j'aurais voulu plus, plus de sang, ou plus d'action, mais c'est déjà suffisamment infâme pour me convaincre à 99 %. Et vous, vous attendez quoi pour lire de la qualité ?
18/20
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