Difficile d’échapper à son héritage familial quand, comme Marco Delusi, on grandit au sein d’une famille dysfonctionnelle dans laquelle être un homme signifie haïr les femmes. Seul son oncle Ray lui montre de l’affection et l’initie à la magie du monde et de celles et ceux qui le peuplent, habitants de l’ombre autant que de la lumière.
Après la mort de Ray, Marco vit à l’écart de la société. Celle-ci se rappelle toutefois à son bon souvenir quand son fils disparu huit ans plus tôt revient dans sa vie. Ce retour laisse alors surgir un passé qu’il préférait oublier.
Pour sauver son garçon, Marco sait qu’il lui faudra mettre fin à la malédiction qui pèse sur les hommes de sa famille et accorder son cœur au rythme des autres. Pourquoi pas à celui de Hannah, son premier amour…
Le temps, peut-être, de trois battements et d’un silence.
Pourquoi ce livre ? En toute honnêteté, j’avais hésité à acheter ce roman, parce que j’avais beaucoup aimé le premier tome du Clairvoyage puis j’étais très mitigée quant à sa suite… Seulement je suis assez proche des deux libraires-éditeurs, qui m’en ont vanté énormément de bien, et j’ai cédé sous la beauté de la couverture. Et grand bien m’en prit… Quelle claque monumentale !
Trois battements, un silence est un roman puissant, un roman au service de l’émotion. Le début nous plonge d’emblée dans la fange de la famille Delusi, dont les pères violentent des gosses timorés dans un cercle vicieux qui pince le cœur. Le décor est planté. Très vite, on va être amené à quitter cette misère pour voir évoluer la vie de Marco, cet enfant pas comme les autres. Et il en va falloir, de la magie et des rencontres, pour comprendre à quel point il est spécial.
J’ai adoré la construction du roman. Anne Fakhouri a pris le parti de partir de la fange pour nous élever vers le beau. Progressivement, on va croiser des personnages haut-en-couleurs, de la féerie merveilleuse, et tout a un tas de “péripéties” qui vont forger le caractère du protagoniste. C’est pour ça que je classe ce roman dans les récits initiatiques, même si l’objectif premier ne réside pas en cela.
Ce roman, c’est aussi l’éloge de la parentalité et des origines. Même si ça part pourtant très mal, avec le père de Marco extrêmement violent (tout comme les cousins), le parcours du héros va lever le voile sur le mystère des Lusignan et définir les causes de ce fardeau familial. Pour cela, la construction du roman est parfaitement adaptée : entre mystères et révélations, le rythme est posé grâce aux parties qui concernent chacune un personnage. Cela ne signifie pas que ce sera le point de vue de ce dernier, mais cela révélera un fait important dans la vie de ce dernier ou de cette dernière, pouvant amener à comprendre où l’autrice nous entraîne.
Comme le chante un célèbre artiste caennais, on dit que ce qui compte “c’est pas l’arrivée, c’est la quête”. Sûrement. Ici, je peux le détromper en disant que la quête est un avant-goût de l’arrivée et que celle-ci est violente de beauté et d‘émotion. Je ne m’attendais clairement pas à une telle fin, quelque chose de si paisible et singulier et en même temps quelque chose d’une fois de plus violent. Ce n’est pas une fin parfaite, ni un happy end. Juste, c’est de l’émotion à l’état brut, un message, une connivence entre un père et son enfant, entre un homme et toutes les rencontres passées.
Au début je ne pensais pas adorer autant, d’autant plus que les personnages ne sont pas faciles à apprécier. Ils sont tous retors, avec des sentiments puissants et souvent violents. Il faut accepter de les laisser s’exprimer, de se battre, accepter de lâcher prise ou de se donner corps et âme à cette lecture. Le chemin comme la fin en valent la peine.
Malgré tout, je me suis attachée à ce jeune Marco qu’on voit grandir de corps et d’âme, j’ai adoré le personnage de l’oncle Ray, ce protecteur discret, l'institutrice, qu'on ne croise que peu de temps et qui me suivra bien longtemps dans ma galerie de personnages. J'ai également apprécié Éric par certains aspects, même s'il m'a paru très étrange par moments. Mélusine aussi, ou Une Ombre (mon personnage préféré par sa complexité), dont le seul défaut aura été de ne pas savoir comment gérer cet amour.
La plume est une des forces de ce récit. Cruel, bavarde, cinglante, chantante, c'est une plume qui caractérise parfaitement ce qu'est la vie. C'est cru, brutal, sans gant, sans jamais se départir d'une certaine beauté, avec l'émotion en ligne de mire. C'est une plume magique, et je regrette d'avoir attendu le dernier roman d'Anne Fakhouri pour m'en rendre compte.
C'est parfois difficile d'écrire une chronique quand le livre a touché le coeur autant que l'âme, parce qu'on sait qu'on peut être amené à le survendre ou au contraire à ne pas faire ressentir toute l'émotion au cours d'une lecture. C'est d'autant plus dur quand l'autrice décède peu de temps avant la parution de son roman, parce qu'on veut lui rendre hommage autant que rester juste. C'est pour ça que j'ai mis plusieurs jours pour rédiger cette chronique, qui je trouve ne rend pas justice, que je soupire là encore pour conclure.
C'est un roman fort, un roman qui parle du merveilleux et des peuples qui le jalonnent avec une vision totalement originale, loin des canons de beauté de la culture des dernières décennies. C'est un roman sur la vérité, sur la violence et les rencontres, avec des personnages forts et hétéroclites. Porté par une plume magistrale qui insuffle le vivant, je pense que je ne retiendrai qu'une seule chose : trois battements, un silence est la résonance de la vie telle qu'on la vit.
19/20
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