

Il y a vingt ans, une adolescente nommée Tara disparaît sans laisser de trace. Son corps n'a jamais été retrouvé, et sa famille a fini par accepter son deuil. Pourtant, le soir de Noël, on frappe trois coups à la porte. Sur le seuil se tient une jeune fille qui ressemble étrangement à Tara. Et elle a l'air toujours aussi jeune... après la joie des retrouvailles, des questions se posent. Peter, qui ne croit pas aux miracles, croit encore moins à l'histoire de sa soeur, qui prétend avoir été enlevée par des fées...

Pourquoi ce livre ? Ce n’est pas le premier roman de l’auteur que j’ai lu. Je me souviens plus ou moins de Lignes de vie, un des premiers services-presse chroniqués sur le blog, qui m’avait plu et marqué par bien des façons. Je m’étais dit qu’il faudrait un jour explorer plus en profondeur la bibliographie de l’auteur. Dix ans plus tard, j’attaque une troisième lecture de Graham Joyce !
Avec Comme un conte, j’ai retrouvé ce qui m’avait plu dans Lignes de vie. C’est une intrigue languissante, dans le sens où elle prend son temps, nous charme, nous prend dans son piège par ses mystères et son côté féérique. La touche de fantastique est présente bien que discrète, l’auteur ayant décidé de jouer sur le fait de croire ou non en l’histoire de Tara, cette jeune femme disparue qui refait surface vingt ans plus tard. Bien sûr, personne ne la croit et elle devra apprendre à s’en défendre, à défendre son passé comme sa personnalité, même devant un psychiatre arriéré.
C’est, là encore, un récit de vie. On s’immisce dans les fêtes de fin d’année d’une famille sur plusieurs générations. Les parents vivent dans le deuil mais se sont reconstruits en dépit de la souffrance, le frère a poursuivi sa vie, des neveux et nièces sont apparus. Tant de bouleversement pour Tara, qui a cru n’être partie que six mois. C’est aussi dans ce chamboulement temporel que réside le pouvoir des fées, si on peut les qualifier ainsi.
J’ai déjà soulevé le mot souffrance ci-dessus, je reviens dessus car c’est un récit qui en contient beaucoup, sous bien des formes. Sans rentrer dans la violence gratuite, on plonge sans filet dans des caractères construits, profonds, avec son lot de petites joies mais surtout de peines, d’incompréhension, de non-dits. La souffrance est le liant entre tous les personnages ou presque.
Pour autant, Comme un conte est loin d’être un récit sombre et déprimant. Certes, la lecture est dure. J’ai tout de même éprouvé de la fascination pour l’intrigue, aux émotions diverses et complexes, et de la curiosité pour l’aventure unique qu’a vécu Tara.
La force du roman repose sur cette aventure, sur le retour de la jeune femme, et sur les vies que cela va bousculer, bouleverser. J’ai beaucoup aimé que les fées ne soient pas dépeintes comme des créatures merveilleuses ou mélancoliques, fidèles à la nature et à la sensibilité exacerbée. Ici, elles sont davantage rattachées au chaos et aux bacchanales, avec un fort attrait pour le sexe et les autres formes de drogue. Possessives, elles n’hésitent pas à se faire du mal entre elles pour obtenir l’objet de leur désir. Et Tara est bien entendu au cœur de leur attention.
Cela offre une opposition totale aux humains décrits au présent, plus introvertis, plus pudiques également. La souffrance est telle qu’elle peut étouffer le reste, laissant les personnages hagards.
Je ressors un peu déçue par la fin du roman. En fait, dès la moitié du récit, une parole nous fait comprendre comment cela doit finir. Je m’y étais préparée, forcément, donc la fin ne m’a pas percutée. Sans information, j’aurais pu être plus touchée par la nouvelle souffrance que cela soulève. Je reconnais néanmoins avoir éprouvé un peu de peine pour Richie, ce grand gaillard victime des aléas de la vie.
Le récit est entrecoupé par des notes, observations, interprétations et conclusions du docteur Underwood, le psychiatre à l’écoute des confidences de Tara. Je dois avouer que ce soit les seuls passages que j’ai sautés. C’est pourtant bien écrit, les termes sont clairs et cela ajoute une profondeur, plus scientifique et donc plus réaliste, à l’ensemble. Seulement, ce choix cassait trop le rythme à mes yeux, cassait également l’ambiance émotive, quittant le monde de la passion pour celui de la raison. C’est un choix osé, qui s’intègre parfaitement avec le contenu du récit, mais qui ne l’a pas fait avec moi.
Etant donné que le roman repose sur la force des émotions et des liens entre les personnages, je me suis beaucoup attachée à eux. Tara m’a évidemment fascinée, sans toutefois tombée dans l’envie ou la jalousie. Ce qu’elle vit n’est ni normal ni simple, elle reste pourtant stoïque face à cette situation. J’ai ressenti beaucoup de peine pour Richie et je pense que ce sera celui qui m’a le plus marquée. Il joue le personnage d’une rock star éclatée, avec ses moments de gloire et ses périodes plus sombres. Peter est celui qui se débat le plus dans cette histoire. Il essaye de comprendre, cherche à savoir la vérité, tant de sauver sa sœur en même temps que d’obtenir la vérité. Qu’il ne croie pas sa sœur peut paraître méchant, dans le fond sa réaction est crédible, étant donné les affabulations qu’elle sort.
Au début, les parents m’ont paru trop dans l’acceptation pour que ce soit crédible. J’ai eu la satisfaction de voir leur fils aîné se regimber devant leur état amorphique et la satisfaction de constater le répondant des parents. Ils ne sont pas dans l’acceptation mais pour le bien de leur fille, faire semblant est ce qui leur paraît le plus judicieux. Même si leur excuse m’a paru bidon, cette seule conversation a levé le voile sur quelque chose que je n’acceptais pas car leur réaction se veut humaine et protectrice.
La famille que Peter s’est créée sert finalement à peu de chose, si ce n’est planté un décor et montrer ce qu’est le quotidien de cette famille. Jack, le seul garçon, se démarque par son étrangeté et par ce qu’il traverse. Toute son émotion, sa fascination et ses actions sont cohérentes, jusqu’à la résolution de son intrigue à lui. J’ai vécu des moments gênants à ses côtés mais je suis satisfaite de la manière dont cela se termine pour lui.
Etonnamment, je n’ai pas du tout adhéré au comportement des fées, notamment celui qui entraîne Tara dans son sillage. Ils sont dépeints ainsi, égoïstes et chaotiques, toutefois ils auraient pu faire preuve d’un minimum de gentillesse envers cette créature attirante qu’est Tara. J’étais contente d’en apprendre plus sur leur monde, mais ô grand jamais je voudrais tomber sur des caractères aussi prompts aux sentiments les plus néfastes.
Le style d’écriture est agréable à lire. Je ne m’en souvenais plus du tout mais j’ai très vite replongé dans ce style doux qui plante parfaitement décor et ambiance. J’ai le sentiment qu’il m’a manqué un peu d’âme pour que ce soit parfait, il n’empêche que j’ai déjà passé un bon moment lors de cette lecture.
Petite anecdote, cela m’a fait sourire car ce roman m’a fait penser à Thomas le Rimeur de Ellen Kushner, même si ce dernier nous plonge dans la fantasy (alors que Comme un conte reste du fantastique). Et justement, Graham Joyce en vient à parler, à un moment, de cette autre œuvre, sans que cela ne tombe comme un cheveu sur la soupe. J’étais satisfaite d’avoir fait la comparaison avant lui !

Comme un conte est une bonne lecture, qui mêle avec brio les tracas de la vie familiale, la souffrance sous plusieurs formes, le merveilleux et le retour brutal à la réalité. Les personnages forment une fresque hétéroclite et passionnante, où l’émotion domine le récit et façonne l’intrigue de chacun. Je n’ai pas aimé les fées en elles-mêmes, pourtant je reconnais ma fascination pour leur environnement et leur quotidien. Dommage que le roman se termine sur une note maussade, avec une fin qui ne m’a pas convenue du fait de sa prévisibilité. Je garderai un bon souvenir de cette lecture, qui me donne envie de poursuivre la découverte des œuvres de l’auteur.
15/20
Comme un contre de Graham Joyce, Bragelonne, 440 p.
Traduit par Louise Malagoli
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