18 août 2018

L'homme qui mit fin à l'histoire




Futur proche.
Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l'observateur d'interférer avec l'objet de son observation. Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l'histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d'État.
Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général Shiro Ishii, l'Unité 731 se livra à l'expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d'un demi-million de personnes… L'Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d'occupation américaines pendant des années, est la première cible de cette invention révolutionnaire. La vérité à tout prix. Quitte à mettre fin à l'Histoire.



Pourquoi ce livre ? Lu dans le cadre de mon ABC Imaginaire 2018, il était important pour moi d’approfondir ma connaissance de la bibliographie de cet auteur après le petit succès de sa Ménagerie de papier. J’avais vu par le passé que L’homme qui mit fin à l’histoire suscite bon nombre d’avis élogieux. Court, un sujet qui aiguise ma curiosité, je ne pouvais que céder.

Si j’avais le sourire aux lèvres au début de ma lecture à l’idée d’enfin l’entamer, j’ai très rapidement déchantée. Non pas que l’intrigue est mauvaise, au contraire en un temps record elle parvient à happer le lecteur par son sujet, dur et percutant. Il faut savoir avant même de porter son regard sur cet ouvrage que L’homme qui mit fin à l’histoire est une oeuvre sur fond de science-fiction, mais une empreinte ténue, presque invisible, qui dessert avant tout le propos et non pas le décor. Cette première surprise fut très plaisante, j’avais l’impression que l’auteur redéfinissait les contours de ce qu’est la véritable science-fiction.
L’intrigue dénonce les abus de la civilisation japonaise face à leur voisin la Chine. En Occident, lorsqu’on évoque les affres de la guerre, la première chose qui nous vient en tête concerne les Nazis (et non pas les Allemands comme je m’apprêtais à écrire…) et les tests chimiques, chirurgicaux et autres sur les Juifs et autres peuples considérés comme inférieurs. Il ne nous vient pas à l’esprit que les Japonais, alors alliés à l’Allemagne, avaient opéré la même chose sur les Chinois, usant de vivisections, de viols, de chirurgies tout simplement abominables sur des êtres humains avant tout. Ken Liu ne s’embarrasse pas de détails : il dénonce, il effeuille quelques pratiques de descriptions mais rien dans l’excès. L’auteur veut dénoncer des pans de l’histoire méconnus, des témoignages qui ne devraient pas rester dans le secret des archives ; il le fait très bien, sans tomber dans le larmoyant sordide.

La mise en forme du contenu est également appréciable. En effet, l’auteur a décidé de dénoncer cela par le biais d’un documentaire fictif, avec quelques indications visuels (dans le même genre des didascalies) afin que le lecteur se représente clairement la scène. Ce documentaire présente un interrogatoire de ce que les gens, par le biais de la technologie avancée, ont découvert dans les souvenirs - que l’on ne peut visionner qu’une fois. C’est intense, émouvant, détaillé. Et parfois, même dans ces interrogatoires, on en oublie l’aspect humain…

La fin manque peut-être de piquant, ou alors je n’ai pas tout perçu. Après, c’est peut-être moi qui débloque : après toute l’horreur découverte dans les deux premiers tiers du bouquin, il fallait bien une fin plus douce, plus portée sur la réflexion et la psychologie.

Je ne vous cache pas que j’ai souffert de cette lecture - dans le “bon” sens du terme, si tant est que le terme “bon” soit adapté à ce livre. J’ai lu plus de la moitié de l’ouvrage sur ma pause de midi au travail, et ma collègue stagiaire s’est moquée de moi lors de ma lecture parce que je couinais ou gémissais. Oui, je ressors chamboulée, bouleversée par cette lecture, et je pense même avoir fait un cauchemar en rapport à lui. Ce livre ne laisse ni indifférent, ni intact. Il faut savoir appréhender le meilleur moment pour le lire, sous peine de se cambrer face aux idées qu’il rapporte. De mon côté, ce livre m’a donné envie de découvrir par moi-même ce pan oublié de notre programme scolaire.

On ne s’attache pas aux personnages, on connaît à peine leur nom ou leur histoire. Enfin, ils nous le partagent mais de manière parcimonieuse, ils ne s’étalent pas sur des mille et des cents. On sent que pour eux, le plus important est la prise de conscience de cette horreur humaine à laquelle on prit part leurs grands-parents.

La plume n’incarne pas non plus la force de ce récit. Si elle permet de dévoiler avec une neutralité exemplaire la pensée de l’auteur, elle le fait sans fioriture, avec une mécanique qui s’adapte à l’idée que je me fais des comptes rendus et autres rapports historiques. Cela s’adapte au contenu, ce qui est parfait à mes yeux.



Une lecture coup de poing comme j’en ai rarement ressenti. Si la plume ne se démarque pas, elle délivre avec une neutralité parfaite un contenu choc, une dénonciation de tout un pan de l’histoire orientale inconnu en Occident. Sans en faire trop, l’auteur dévoile toutes les horreurs et autres exactions, sous prétexte d’un sentiment de supériorité sur autrui. C’est affreux, difficile à lire, on ne peut ressortir intact de cette lecture. La science-fiction est très peu présente, ne vous laissez pas piéger par cette étiquette : tout le monde peut lire L’Homme qui mit fin à l’histoire. Ou plutôt, tout le monde doit lire L’Homme qui mit fin à l’histoire...



18/20







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