Dans son registre, celui de l’investigation, Ruth Law est la meilleure. D’abord parce qu’elle est une femme, et que dans ce genre de boulot, on se méfie peu des femmes. Parce qu’elle ne lâche rien, non plus, ne laisse aucune place au hasard. Enfin, parce qu’elle est augmentée. De manière extrême et totalement illégale. Et tant pis pour sa santé, dont elle se moque dans les grandes largeurs — condamnée qu’elle est à se faire manipuler par son Régulateur, ce truc en elle qui gère l’ensemble de ses émotions, filtre ce qu’elle éprouve, lui assure des idées claires en toute circonstance. Et surtout lui évite de trop penser. À son ancienne vie… Celle d’avant le drame…
Et quand la mère d’une jeune femme massacrée, énuclée, la contacte afin de relancer une enquête au point mort, Ruth sent confusément que c’est peut-être là l’occasion de tout remettre à plat. Repartir à zéro. Mais il faudra pour cela payer le prix.
Le prix de la vérité libérée de tout filtre, tout artifice. Tout regard…
Pourquoi ce livre ? Depuis ma découverte de cet auteur avec La Ménagerie de papier puis L’Homme qui mit fin à l’histoire, je ne cesse de vouloir découvrir plus encore ce qu’il a produit. Férue de cette collection, il était grand temps que j’attaque cette novella, parue il y a plus de cinq ans !
Le Regard est un titre qui laisse songeur, parce qu’il signifie beaucoup de choses et que, sans contexte, ça ne veut finalement rien dire. Après la lecture du texte et une courte réflexion, c’est un titre fort, soigneusement choisi pour tout ce qu’il implique.
N’ayant pas lu le résumé avant de me lancer dans la lecture, j'étais loin de me douter qu'on atterrirait dans une enquête policière, avec la naissance d'un côté un tueur en série très discret et de l’autre côté une détective privée qui se jette à corps perdu dans son enquête pour des raisons pour personnelles qu'on ne le penserait au premier abord. Le tout donne un mélange policier/thriller exaltant.
C’est l’occasion d’evoquer quelques sujets forts, comme la prostitution et tout ce qui peut en découler, du tourisme sexuel aux manœuvres politiques pour faire tomber les têtes. J’ai également beaucoup aimé toute la réflexion autour des implants régulateurs d'émotions, que l’on découvre au travers de Ruth, la détective. À partir de quel moment on doit l’activer ou le désactiver, quel danger pour la conservation de notre humanité, à quel moment on tombe dans le transhumanisme avec cet engin, tant de choses qui soulèvent des questions et des frissons dans le dos.
Ce fut un bon petit page turner, je regrette simplement une fin précipitée, évidemment due au format court. Un petit développement sur le après n’aurait pas été de trop pour entendre le témoignage de ce maniaque fou.
On s’attache facilement à Ruth, la détective, car c’est une femme blessée, abandonnée de ses proches, qui se jette par conséquent dans son travail. Elle cherche à aider les autres tout en expiant ses fautes, elle m’a fait beaucoup de peines, par ses cauchemars et le moyen qu’elle a trouvé pour ne plus rien ressentir.
J’ai également apprécié les passages sur le point de vue du tueur, qui permettent d’atteindre sa psyché et comprendre quels sont ses enjeux, ce qui est à l’origine de ses actes.
Le style est toujours aussi fluide, rendant la lecture entraînante. Pas de censure dans sa façon d'exprimer ou d'écrire les choses, et certains passages peuvent être malaisants voire dégueulasses.
Moins de cent pages et un concentré de réflexion et de tension, Ken Liu est vraiment très fort pour créer une ambiance poisseuse tout en posant les bonnes questions. J’ai aimé le thème du roman, comment il est traité, et l’apport de la technologie dans tout ça. Une lecture vite avalée, qui me marquera quelques temps. Il faudrait vraiment que je lise les romans de cet auteur, à présent…
14/20
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