« Elle
plaque la feuille sur la table, face vierge exposée, et la plie. Intrigué,
j’arrête de pleurer pour l’observer. Ma mère retourne le papier et le plie de
nouveau, avant de le border, de le plisser, de le rouler et de le tordre
jusqu’à ce qu’il disparaisse entre ses mains en coupe. Puis elle porte ce petit
paquet à sa bouche et y souffle comme dans un ballon.
“Kan,
dit-elle. Laohu.” Elle pose les mains sur la table, puis elle les écarte.
Un tigre
se dresse là, gros comme deux poings réunis. Son pelage arbore le motif du
papier, sucres d’orge rouges et sapins de Noël sur fond blanc.
J’effleure
ce qu’a créé Maman. Sa queue bat et il se jette, joueur, sur mon doigt… »
Ken Liu
est né en 1976 à Lanzhou, en Chine, avant d’émigrer aux états-Unis à l’âge de
onze ans. Titulaire d’un doctorat en droit (université de Harvard),
programmeur, traducteur du chinois, il dynamite les littératures de genre
américaines, science-fiction aussi bien que fantasy, depuis une dizaine
d’années, collectionnant distinctions et prix littéraires, dont le Hugo, le
Nebula et le World Fantasy pour la seule « Ménagerie de papier», ce qui
demeure unique à ce jour. Le présent recueil, élaboré au sein d’un corpus
considérable, et sans équivalant en langue anglaise, consacre l’éclosion du
plus brillant des talents, protéiforme et singulier — l’avènement d’un
phénomène.
En temps normal, je ne suis pas du
tout recueil de nouvelles, même dans les genres que j’affectionne. Mais ce
livre circulait sur la blogosphère depuis quelques temps, je n’ai donc pas
résisté à l’emprunter quand je l’ai croisé au détour d’une étagère à la
bibliothèque municipale.
En conclusion, je suis contente d’avoir ouvert ce recueil car l’émotion
est au rendez-vous pour certaines d’entre elles mais je ne pense pas que les
moins bonnes nouvelles (selon mon opinion) me marqueront réellement. Je
conseille sincèrement de le lire à petites doses, avec une nouvelle par-ci
par-là pour ne pas se lasser. En tout cas, j’ai passé dans l’ensemble un
agréable moment.
Je
me suis demandée comment j’allais bien pouvoir me débrouiller pour « pondre »
cette chronique. Allai-je écrire un petit avis par nouvelle ou allai-je
simplement donner mon avis sur un plan global ? C’est finalement cette
dernière proposition qui l’a emportée.
Ce
recueil commence par une nouvelle qui s’appelle Renaissances, et ce choix ma
paraît parfait pour commencer ce recueil qui porte sur l’Homme dans des milieux
de Science-fiction flirtant pour certains avec la Fantasy. Rien n’est laissé au
hasard et tous les sujets anthropologiques sont épinglés ici, que ce soit l’homme
dans sa plus simple définition, mais également les grandes structures qu’il s’est
entrepris de bâtir.
Bien
sûr, rien n’est laissé au hasard et le moindre détail possède toute son
importance.
Seulement,
la composition d’une nouvelle souhaite qu’on a du mal à prendre au jeu, les
personnages se font trop simples et peu définis pour susciter un quelconque
intérêt et tout s’enchaîne trop vite pour réellement savourer ces petites
intrigues.
Bon,
j’apparais très pessimiste en disant tout cela de la sorte, mais ce recueil m’a
tout de même fait passer un bon moment, hormis dans les dernières nouvelles où
je commençais à me lasser.
Le
meilleur conseil que je puisse vous donner pour cet ouvrage, c’est de ne pas enchaîner
les nouvelles sur des jours consécutifs. Il est préférable d’en lire une de
temps en temps afin de savourer chaque ficelle qui les compose et ne pas se
lasser comme j’ai pu le faire sur la fin.
Parmi
mes préférées sur la vingtaine proposée, on retrouve :
-
Les
algorithmes de l'amour, où l’on y découvre la douleur d'une ingénieure
qui a perdu son enfant et qui noie son chagrin en créant des robots miniatures,
version bébé. Son mari, Brad, tente de lui faire comprendre que ces machines ne
remplaceront jamais la vraie vie perdue. C'est une nouvelle tellement
d'actualité que je me suis sentie pleinement concernée, prenant en pitié la
pauvre mère. Mais cette nouvelle va même plus loin puisqu'elle prend une portée
philosophique, intégrant une réflexion sur la pensée humaine : possède-t-elle
des mécanismes algorithmiques qui nous font répondre telle ou telle chose dans
telle ou telle situation ou bien sommes-nous vraiment mettre de notre destin
(comme le répète sans cesse Nelson Mandela dans Invictus ^^) ?
-
Trajectoire, où l'auteur
exprime une réflexion sur les limites de l'art, des frontières plus que
subjectives, avec un flirt certain dans ce texte entre la mort comme nouvelle
forme d'art. Mais aussi comme choix puisque la Fontaine de Jouvence apparaît dans
la science sous les contours d'une vilaine tentation. Là aussi c'est
d'actualité puisque les recherches contre la maladie - et donc contre les morts
prématurées - sont toujours de plus en plus poussées.
-
La Ménagerie
de Papier…
Bien contente qu’elle figure parmi les préférées mais pour le coup, j'ai du mal
à façonner mes idées. Magnifique nouvelle, sur les joies et les douleurs
maternelles. Et la touche de fantastique est sympathique et envoûtante.
La plume est
assez étrange, mais je pense qu’elle se perçoit différemment selon notre
empathie envers chacune des nouvelles. Lorsqu’une nouvelle ne me plaisait pas,
ou moins, j’étais moins accrochée et la plume me semblait des plus banales. A l’inverse,
elle me paraissait des plus acérées et ravageuses lorsque j’adorais la
nouvelle, je pense donc que la subjectivité prend vraiment tout son sens dans
ce recueil.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire