C’est à Landor qu’on trouve la plus importante école de serviteurs de Civilisation. Ceux qui en sortent, les factotums, savent repasser le linge de leur maître, réciter sa généalogie et éviscérer ceux qui le regardent de travers. Leur fidélité, garantie par des années de lavage de cerveau à la lessive patriotique, n’est plus à démontrer. C’est pourquoi, lorsque Sylve trahit son seigneur et lui dérobe une précieuse relique, c’est l’incompréhension... puis la chasse à l’homme.
Sauf que Sylve n’a jamais rien volé. Et peut-on qualifier de traître celui qui a ajusté ses principes par amour ? Le guerrier naïf qui n’a jamais quitté Landor est en route pour la baronnie de Grish-Mère. Il espère y laver sa réputation, mais il se retrouve à la merci de la puissante Guilde des Épiciers. Son érudition et son excellence au combat ne lui sont alors que d’un faible secours...
Un grand merci aux éditions ActuSF pour ce partenariat !
Pourquoi ce livre ? J’avais beaucoup aimé Anasterry, découvert par le biais des services presse avec la même maison d’édition. J’avais donc envie de poursuivre l’aventure dans l’univers de Civilisation.
Ce n’est pas souvent que je découvre des séries dont le seul fil rouge repose sur les états, les royaumes qui composent le continent. J’aime beaucoup ce procédé, qui est original et qui permet d’approfondir la géopolitique en prenant son temps.
Car la géopolitique est le centre de ces intrigues. Après la découverte du royaume de Landor et de ses secrets, on arpente les ruelles de Grish Mere, un état matriarcal où les places sont totalement échangées : les femmes ont le pouvoir, jouent les grosses dures et pelotent les hommes sans que ces derniers aient véritablement leur mot à dire. Je ne suis pas féministe pour un sou, mais je dois avouer que j’ai jubilé devant les étapes libératrices franchies tout au long de la lecture. De plus, le propos est loin d’être moralisateur, ce qui me change d’Humain.e.s, trop humain.e.s de Jeanne A. Débats où j’avais clairement été mal à l’aise d’avoir lu tant de jugements sur les femmes qui ne prennent pas part à la lutte.
Nous suivons les aventures de Sylve, un Expert issu de la prestigieuse école des Factotum. C’est simple, ils y apprennent tout sur tout dans le but de maîtriser chaque domaine à la perfection. Le protagoniste sait donc compter, chanter, coudre, attaquer, se défendre, conseiller, etc. Les élèves apprennent également à ne pas réagir, à n’afficher aucune émotion, à manipuler. Pourtant Sylve aura été le dindon de la farce après avoir été jugé coupable du vol d’une statuette sacrée, statuette volée par celui qu’il croyait être son ami. Son désir de mettre au jour la vérité et surtout de rendre sa renommée à son école va l’emmener au milieu de ses femmes qui sont à l’opposé de tout ce qu’il a appris.
J’ai adoré. Je me suis délectée de chaque page. Sylve est un bonhomme fier. Pourtant, pieds et poings liés par la fameuse guilde des Épiciers, il est contraint à bon nombre de sacrifices, il essuie les coups et va connaître une nette évolution. Malgré la violence, la brutalité des procédés pour parvenir à leur fin, j’ai apprécié retrouver Thelban, Céleste, Constance - des noms qui vous diront sûrement quelque chose si vous avez lu le précédent opus -, qui alternent franchise et jeu de dupe. Les différentes cultures et personnalités offrent des échanges alléchants, des dialogues croustillants et toujours cette aura de mystère conférée par la nécessité de protéger les secrets de leur institution. C’était agréablement intense et j’ai été scotchée, happée du début à la fin.
Sauf que la fin est un peu moins agréable. Je ne dirai pas qu’elle m’a déplu, seulement elle est un peu trop bâclée à mon goût. Alors quand je dis fin, je pense aux trentes dernières pages avant épilogue. J’aurais souhaité un peu plus de développement, un peu plus d’explications et de confrontation entre les différents personnages. L’épilogue, lui, m’a plongée dans la mélancolie et je me suis aperçue à quel point je m’étais attachée à un énième personnage.
Une autre des grandes forces de l’ouvrage, c’est l’alternance des rythmes, entre l’action du présent et l’introspection du passé de Sylve. On suit son parcours, de sa naissance à sa formation jusqu’à son premier emploi auprès d’un noble, jusqu’à ce qu’il se fasse duper par le plus manipulateur des manipulateurs. J’ai beaucoup aimé ce choix scénaristique, non seulement parce qu’il crée de la tension entre chaque chapitre qui nous laisse en suspens, aussi parce qu’il permet de prendre pleinement conscience de l’évolution de Sylve, forgé pour être le plus impartial des hommes, qui va progressivement plonger vers la prise de parti et l’émotion.
J’ai trouvé la plume encore meilleure que dans le premier opus. Je pense que c’est lié à sa proximité avec l’univers. Dans Anasterry, les échanges et personnalités étaient davantage solennels ; de fait la plume, agréable, se rapportait au langage soutenu. Ici, tout est explosif, que ce soit la contrée ou les discours des uns et des autres. De fait, le lexique est un peu plus familier, sans perdre en qualité. Cette adaptation m’a montré toute l’étendue du talent d’Isabelle Bauthian.
Ce second tome indépendant aurait été un coup de cœur si la fin ne m’avait pas paru trop rapide pour bien poser les explications et les retournements politiques. En dehors de cela, c’est un univers captivant où la femme est “roi”, dans toute sa féminité si masculine. Sylve est un être complexe, plus torturé qu’il n’y paraît et suivre son évolution dans le passé devenu présent est intriguant : j’ai été littéralement happée par cette histoire, au point où s’arrêter de lire était difficile. La plume parfait le tout, avec les échanges savoureux et sulfureux. En bref, j’ai été séduite et je me demande bien pourquoi vous ne l’avez pas encore vous-mêmes lu !
18/20
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