Alain Damasio nous invite à la rencontre de grands « vivants », c'est-à-dire de grands claustrophobes, amoureux de l’air et de l’Ouvert. Champions de toutes les aérations, celles de l’espace, du son, des mots, du collectif, et de ce fait totalement libres, entrés en un jeu d’échos fou avec les mouvements du monde, ils tracent et suivent leurs lignes de fuite, tel le surfeur qui n’existe et ne consiste que dans la furtivité.
Pourquoi ce livre ? Damasio a fait le choix d'écrire peu pour écrire bien. En quelques parutions, il a su s'imposer comme un auteur phare de la littérature de l'imaginaire français, et même le monde littéraire en général à connaissance de son existence - et ça, franchement, ce n'est pas rien de le dire. Déçue par La Zone du dehors (qu'il faudra que je relise), je suis tombée amoureuse de La Horde du Contrevent (qu'il faudra que je relise). Je voulais à présent essayer son style en nouvelles.
Les Hauts Parleurs ouvrent le bal et annoncent du très lourd. Il faut dire qu'Alain Damasio, en moins de cinquante pages, évoquent des sujets qui n'ont pas forcément grand chose à voir et les lire pour en faire un cocktail explosif. J'ai adoré son idée de donner au mot la notion de produit qui s'achète et se commercialise, ou qui se privatise pour mieux se commercialiser. Derrière une intrigue aussi simple se cachent des satires cinglantes sur les méfaits du capitalisme et la liberté de s'exprimer. Ce court avis ne rend pas hommage à cette nouvelle lumineusement effroyable, car finalement on n'est pas loin d'un récit brûlant de Ray Bradbury.
Annah à travers la Harpe m'a un peu moins emportée. Portée sur un tome fort, la mort, cette intrigue va nous faire voyager dans l'imaginaire de croyances qui flirtent entre le mythe de Morphée et L'Enfer de Dante. C'est touchant, poignant, mais j'ai trouvé qu'il manquait un petit quelque chose pour atteindre une profondeur.
J'ai honte de le dire, mais je suis passée à côté du Bruit des bagues. Je me rends bien compte que la haine du capitalisme est omniprésent dans les écrits de Damasio, par deux fois elle nous apparaît avec évidence ici avec les multiples occurrences des marques célèbres et ce qu'il en fait. Mais ici, avec ses îles et sa fin, cette utopique quête de liberté, je suis restée sur une incompréhension du message.
C@ptch@ est un condensé de Marche ou crève et Hunger games. Brutal et violent, la nouvelle dénonce l'omniprésence de la technologie dans notre vie et le poids de son pouvoir et de son influence sur notre crédulité. Que ce soit pour la plupart des personnages des enfants évoque les dernières générations qui sont nés avec l'outil de les mains. J'ai bien aimé comment tout ca est présenté, même si le sujet n'est pas forcément original.
So phare away m'a touché pour son univers unique, particulier, et le message qui véhicule. Ces phares sont en fait des groupes ou individus piliers des réseaux sociaux comme nous on les définit aujourd'hui. Damasio s'amuse ici à dénoncer l'abrutissement (et pas aboutissement comme mon téléphone voulait le corriger… comme quoi !) d'une société qui partage une information sans la commenter ni se l'approprier. C'est brut et inutile, et le message, à force de partage, est parfois compris à l'opposé, un peu comme le téléphone arabe. J'ai beaucoup aimé la cruauté de cette nouvelle, elle me marquera dans le temps.
Les Hybres me marqueront aussi. Si la technologie est encore présente, c'est dans une plus grande discrétion puisqu'elle est ici le moyen et non pas sujet. L'art, cette chose si éphémère que les artistes défilent comme des tops models qui sont sifflés dès qu'ils prennent un gramme… Le message est plus difficile à percevoir et je ne m'amuserai pas à le commenter. Mais j'ai aimé cette fin qui a su me véhiculer de l'horreur, malgré la beauté de l'ensemble. L'art se vie. Mais y'a des limites !
L'auteur montre encore tout son savoir-faire dans El Levir et le livre. L'anagramme aurait dû me préparer à l'étrange façon de s'exprimer d'un certain personnage, à la grammaire éclatée. C'est violent, encore une fois. Au premier degré, on comprend que l'oeuvre d'un artiste se façonne et s'inscrit dans sa chair, prélève une part de l'homme. Il n'y a pourtant pas que cela et chaque relecture du texte peut soulever une nouvelle couche d'interprétations. Je la relirai avec plaisir. En tout cas, moins que les Hauts Parleurs, la maîtrise de la langue est toujours aussi outrageusement impeccable.
Malgré moi, j'ai eu du mal à écrire un avis, même court, sur Sam va mieux. Je n'ai pas compris la visée de cette nouvelle et, en dehors du plaisir de voir Damasio s'amuser avec la langue en nous montrant comment changer tout un groupe de mots en ajoutant ou retirant une même lettre à chacun d'eux, je n'ai rien ressenti de plus pour elle. Ce texte porte donc mon premier échec dans ce recueil.
Une stupéfiante salve d'escarbilles de houle écarlate m'a étrangement fait penser à l'épisode un de Star wars, entre la course et le mu. Mais moi qui n'apprécie pas trop ce space opera de renom, j'ai vécu la course de Île avec la même boule au ventre de crainte qu'Aile. En fait, j'ai tout simplement adoré, retrouvant une action pure avec du rythme des rebondissements. J'ai adoré cette force chaotique du Barff, ce qu'on apprend sur lui à la fin. Chaque personnage a sa voix et sa façon de s'exprimer, ca m'a donné le sentiment de revenir à la Horde. De plus, certaines phrases font référence aux nouvelles précédentes comme si tout avait lieu dans un même univers. Bref, j'ai adoré et je pense même que c'est ma seconde nouvelle préférée dans ce recueil, après les Hauts Parleurs.
Court, simple, beau, douloureux. Trois pages seulement, et Aucun souvenir assez solide nous fait passer par un tumulte bouillonnant d'émotions contradictoires. Ca nous touche tous, parce que c'est le sentiment universel de l'amour et de l'abandon qu'on ne ressent pas qu'une fois, qu'on ressent toute notre vie. En quelques phrases incisives, Damasio oublie toute critique du comportement anthropomorphe pour ne laisser que l'essentiel. Nous.
Je ne pensais pas aimer autant. Exigeant par la forme comme le fond, les romans ont cette longueur traînante qui permettent de développer un propos sans l'alourdir. J'appréhendais les nouvelles par peur que ce soit trop court pour s'attacher, ressentir et réfléchir. Je me trompais lourdement. J'ai retrouvé avec plaisir les critiques de l'auteur et son regard pessimiste sur une société déliquescente. Je me suis amusée comme une folle, comme lui a dû s'amuser à jouer avec la grammaire et le lexique à bon nombre de reprises. Ce recueil m'a fait renouer avec Alain Damasio. Si les nouvelles sont toutes excellentes, à une exception près, j'en retiendrai surtout C@ptch@, Une stupéfiante salve d'escarbilles de houille écarlate, So phare away et, évidemment, Les Hauts Parleurs.
19/20
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