30 juil. 2020

L'Hypothèse du lézard




Som-Som est vendue par sa mère à la Maison sans Horloges de Liavek. Elle va être soumise au Silence et porter le Masque brisé qui la destine à devenir l'amante des magiciens et la gardienne de leurs secrets.
Isolée par son incapacité à communiquer, elle va alors assister à l'histoire d'amour violente et cruelle entre Foral Yatt et Raura Chin, deux comédiens qui résident avec elle dans la Maison sans Horloges.



Pourquoi ce livre ? C’est en flânant pour une fois sur Ulule que je suis tombée sur cette campagne alléchante : ActuSF lançait sa collection Graphic. Entre les traits d’Alan Moore et ceux de Marc Simonetti, mon coeur n’a pas balancé longtemps et je me suis pris les deux ! Sachant que j’aime bien les romans et nouvelles de Jean-Laurent Del Socorro, j’ai préféré commencé par l’autrice inconnue pour éviter toute déconvenue en le lisant dans l’autre sens.

Je me dois de dire qu’il n’y aurait eu aucune déconvenue. L’Hypothèse du lézard est une novella magique, douce et poétique, toute en beauté.
Le titre est étrange, l’histoire l’est tout autant. On découvre un univers cruel sans pour autant être dangereuse, dans cet environnement instable des bordels, ou plus joliment des maisons closes. Les clients sont riches, ont des demandes spécifiques, et les employés le sont justement parce qu’ils offrent des traits caractéristiques ou des dons particuliers. Som-Som, vendue par sa mère dans sa jeune enfance, fait partie de ceux qui ont été métamorphosés de façon la plus cruelle pour mieux servir une clientèle spéciale : les sorciers.

J’ai été surprise de constater que si son enfance entamait avec brio ce récit, ce n’est pas pour autant son histoire qui nous est racontée, c’est en réalité sa voix et son regard qui nous raconte. De fait, elle n’est pas tant personnage que narrateur et, une fois la surprise passée, j’ai beaucoup apprécié cette mise en scène.

L’hypothèse du lézard est donc l’histoire d’un amour, pas interdit, entre deux hommes dont un aux traits androgynes. On l’appelle Elle et chaque pronom qui lui fait référence débute par une capitale. Elle a cependant d’autres aspirations et va partir, brisant ainsi son amour…

C’est la troisième fois que je vais prononcer le mot cruauté ou une de ses déclinaisons dans cette chronique et ce n’est pas pour rien. Si la plume est faite de coton ou de soie, l’intrigue, elle, pique par sa cruauté. La fin, surtout, m’a serré le cœur, par ce sentiment d’injustice et d’incompréhension.

Les personnages sont frais, peut-être trop survolés, mais c’est comme dans toute novella, on n’a pas le temps de bien construire leur personnalité. Ce que l’on sait d’eux est néanmoins suffisant pour les comprendre et les apprécier. Som-Som est une jeune femme discrète et je déplore finalement ne pas en savoir plus sur ses autres activités ou sa façon de distinguer le monde suite à son opération et au port du masque. Par ailleurs, cela aurait amené d’autres magnifiques illustrations car celles qui la concernent sont de loin de mes préférées.
Raura Chin, ou Elle, est également une beauté à couper le souffle, une fleur sauvage qui n’attend que d’être cueillie, mais par un seul botanique. J’ai beaucoup apprécié sa personnalité et je regrette, une fois de plus, ne pas en savoir assez sur lui. Quant à son amant, Foral Yatt, il est Son antithèse puisqu’il se fait discret, plus mordant.

La plume est donc magique et j’ai grandement apprécié le travail élaboré de la narration. Seulement j’ai ressenti parfois quelques moments de flottement dans le déroulé, comme s’il manquait un bout (il manquait parfois des mots de liaison ou les “que” de “tandis que”, ce qui me gêne toujours dans un roman publié dans une grosse maison d’édition). Je vous assure qu’une fois dedans, c’est comme se poser sur un nuage.

Cette sensation est d’ailleurs amplifiée par la beauté aux traits doux et précis d’Alan Moore. Les illustrations coulent de source avec le récit et le complètent parfaitement en nous représentant des détails, des portraits, des scènes majeurs du bouquin. D’ailleurs, trois œuvres pleine page sont colorisées et imprimée sur un papier différent pour améliorer la qualité du rendu - effort appréciable ! J’ai bien entendu mes préférences dans ses œuvres, mais l’ensemble offre un excellent rendu et je parcourrai à nouveau les feuillets avec un plaisir certain !
Le petit plus, ce n’est pas souvent, mais parfois la maquette du texte épouse les contours d’un trait arrondi ou la découpe d’une illustration qui vient à la rencontre des mots. Le rendu est magique !



Une belle histoire accolée à une superbe ambiance, une magnifique voix et des illustrations plus que grandioses. Le voyage fut parfait, se dévore vite, bien trop vite… Cette première rencontre avec l’univers de Liavek fut marquante et je replongerai avec plaisir dans cette novella et dans d’autres œuvres qui composent cet univers. En attendant, ActuSF fait une entrée fracassante et réussite dans le monde des romans graphiques.



17/20





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