6 août 2020

Le Chant du drille




Aujourd'hui l'être humain vit 200 ans. Il a depuis longtemps quitté la Terre originelle, essaimé vers des systèmes planétaires lointains, fondé ses colonies et ses lois interstellaires. Aux confins de la fédération Homéocrate, Taheni est une planète vierge et paradisiaque dont l'équilibre écologique est menacé par les installations humaines. Les Drilles, animaux humanoïdes semblables à des lémuriens et doués d'un chant merveilleux, se pressent par milliers aux portes de la ville pour s'y laisser mourir. Lodève, inspectrice générale des Colonies, est dépêchée pour décrypter cette énigme et enquêter sur les corruptions et complots de la petite société tahenite, qui mettent en cause l'ensemble du système homéocrate.



Pourquoi ce livre ? Cela fait une paire d’années que j’ai rencontré cet auteur au détour du salon du Livre de Paris, une paire d’années également que je ne m’étais pas plongée dans un de ses ouvrages. Un premier essai sur Momox a eu raison de ma mentalité “anti occasion”.

Le Chant du drille est le premier roman d’Ayerdhal et cela se ressent, dans toutes les strates du livre. L’intrigue est rythmée, avec ce ton cynique qui me plaît tellement de retrouver dans les œuvres de cet auteur. On perçoit clairement l’envie satirique, la volonté d’appuyer le doigt là où ça fera le plus mal. Ici, c’est la cause animale et environnementale qui servent de prétexte à cette enquête policière sur fond de science-fiction dans cet univers intertextuel de l’Homéocratie - pas mal de livres de l’auteur s’implantent dans cet univers. Le livre a plus ou moins vingt ans, mais il sonne parfaitement clair avec les mouvements actuels.

L’ennui, c’est que sans être brouillonne et incohérente, l’enquête manque de finesse dans son évolution et dans les déductions de la protagoniste solitaire. Il arrivait qu’elle arrivait d’un point A à un point B, dans son cheminement de pensées, que je ne parvenais pas à suivre avec elle. Cela dit, cela n’enlevait en rien la crédibilité du discours, on ne peut qu’y croire quand on voit les moyens mis en oeuvre par tel ou tel parti.

De plus, ce qui fait la particularité du ton d’Ayerdhal ne s’est pas encore affirmé ici. J’ai ressenti et apprécié tout le potentiel qu’il présente, et ce dès le prologue, mais ça n’a jamais implosé jusqu’à la baffe magistrale tant espérée. Le cynisme est déjà présent, un peu, mais ce n’est qu’une pâle copie au regard de Rainbow Warriors (que je vais relire d’ici trois mois !) ou de Chroniques d’un rêve enclavé (que j’ai déjà lu trois fois tellement c’est bon).
Alors, petite remarque pas si anodine que ça, je ne sais pas s’il est judicieux de commencer par ce titre comme entrée en matière dans la bibliographie de cet auteur, car vous risquez de piétiner, ne jamais réessayer, et passer à côté d’un auteur de science-fiction contemporaine monstrueux - dans le sens phénoménal - un génie !

Même si elle osait parfois passer du coq à l’âne, j’ai beaucoup apprécié le personnage de Lodève. Elle est directe, indépendante, on la qualifie d’egocentrique dans le bouquin mais je la catégorise plus comme une marginale qui aime son travail. On retrouve l’archétype de la femme forte que Yal adore mettre en avant dans ses œuvres, comme dans Cybione ou La Bohême et l’Ivraie.
J’ai pas mal aimé les personnages secondaires qui orbitent autour de l’enquête, notamment les autres femmes comme la muette et l’ex de l’homme à l’origine de tout (belle périphrase). Les personnages liées aux institutions m’ont en revanche légèrement perdue par leurs noms aux sonorités proches. Jay, Yam, d’autres encore, qui m’a donné le sentiment que par cette proximité dans l’identité, l’homme est pareil en tout point, nous sommes tous responsables des problèmes liés à la colonisation et à la consommation des planètes.

La plume est énergique et fouette, même si pas encore assez comme je l’insinuais ci-dessus. Cela suffit pour se prendre quelques éraflures et froncer des sourcils coupables devant tant de véracités. J’ai retrouvé avec plaisir cette ébauche de cynisme et j’ai pris conscience à quel point Ayerdhal trônait dans la short list des meilleurs auteurs français en science-fiction.

Petite pensée pour la couverture extrêmement moche, mais qui a le mérite de représenter fidèlement ce qu'est un drille.



Pour un premier essai de l’auteur, c’est génial et c’est bien là ce qui définit ma note. On découvre le ton mordant d’un auteur qui n’a pas sa langue dans sa poche, le tout dans une ambiance très actuelle malgré l’âge du roman. Cette intrigue dessert un propos très écologique et ne lésine pas sur les tacles. Il y a quelques passages flous et des déductions difficiles à suivre, mais ça reste une bonne enquête avec une héroïne attachante. Je conseille cet auteur et ce roman, mais peut-être pas en coup d’essai, plutôt quand vous serez familiarisé avec le style.



16/20





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